Temps partagé : Une arme pour lutter contre la pénurie de compétences

Temps partagé : Une arme pour lutter contre la pénurie de compétences

Encore mal exploité, ce mode de travail permet à des PME de s’attacher les services de profils expérimentés, qu’elles ne pourraient pas embaucher à temps complet. Les professionnels concernés gagnent, eux, en autonomie et en liberté.

La crise semble déjà derrière nous, sur le front de l’emploi. Avec un chômage au plus bas et des prévisions de recrutement soutenues dans un grand nombre de secteurs d’activité, les entreprises connaissent des difficultés de recrutement pour les métiers en tension. Dans la panoplie des dispositifs utilisés pour contourner le déficit de compétences, il en est un qui reste encore méconnu : le travail à temps partagé.

Comme son nom l’indique, ce mode de travail consiste à « partager » un professionnel expérimenté entre plusieurs employeurs ; un moyen pour une PME de bénéficier, un jour ou deux par semaine ou seulement quelques heures, de l’expertise d’un profil expérimenté, qu’elle n’aurait pas pu recruter à temps plein en raison de sa taille, de ses moyens ou de son manque d’attractivité.

Issu des usages saisonniers du monde agricole, ce mode de travail s’est depuis étendu à tous les secteurs d’activité et à un grand nombre de fonctions. Une entreprise peut, à moindre coût, s’attacher les services d’un DRH, d’un directeur financier, d’un responsable informatique, d’un acheteur ou d’un comptable. Selon un récent livre blanc du Portail du temps partagé, la barre des 500 000 travailleurs à temps partagé a été franchie, soit une croissance de 17 % en trois ans.

Le temps partagé peut prendre plusieurs formes. La première est le multisalariat. Un professionnel travaille à temps partiel pour plusieurs employeurs sous le statut de salarié. Il peut aussi exercer en tant qu’indépendant (microentrepreneur, EURL, Sasu…). Troisième possibilité : le groupement d’employeur. Bien connu du monde agricole, ce type d’association embauche des salariés en CDI et les met à disposition des entreprises adhérentes.

Enrichissement mutuel

De leur côté, les professionnels font avant tout le choix du temps partagé pour la diversité des missions qu’ils rencontrent, venant enrichir leur vie professionnelle. Un enrichissement mutuel, selon David Bibard, fondateur du Portail du temps partagé : « Un travailleur à temps partagé fait profiter à ses clients de son réseau et des bonnes pratiques entreprises dans d’autres organisations. »

La dépendance économique et hiérarchique étant moindre, le travailleur à temps partagé gagne aussi en autonomie. Il a plus de latitude pour choisir ses missions et pour trouver un équilibre entre vie privée et vie professionnelle.

Selon le livre blanc du Portail du temps partagé, ce mode de travail entre aussi en résonance avec la quête de sens au travail des jeunes actifs des générations Y et Z. Ces derniers souhaitent « donner du sens à leurs actions pour concilier leur passion à leur vie professionnelle, voire professionnaliser leur passion ». D’autres agissent davantage par pragmatisme. Considérer d’autres formes de contrats que le CDI constitue alors « une réponse à un marché de l’emploi flottant et peu visible ».

Le travail à temps partagé s’inscrit plus généralement dans la tendance du cumul d’activités avec le freelancing ou le slashing. Dans une récente étude, le cabinet de conseil Onepoint estime que le futur du travail ne sera pas unique,  mais divers. Si 8 % des actifs occupent aujourd’hui, en France, au moins deux activités rémunérées, les trois quarts des Français interrogés pensent que l’on se dirige vers davantage de multi-activité. Onepoint estime, pour sa part, qu’en 2035, un collaborateur combinera en moyenne 2 ou 3 activités différentes chaque jour, avec des statuts multiples.

—— Xavier BISEUL (Tribune Verte 2985)

Avis d’expert : « CE MODE DE TRAVAIL EXIGE UNE CERTAINE SÉNIORITÉ »

David Bibard, fondateur du Portail du temps partagé

Qui a recours au travail à temps partagé ?
David Bibard : Ce sont essentiellement des PME, mais aussi quelques ETI. Face au déficit de compétences dans certaines professions, le travail à temps partagé permet d’élargir le vivier de candidats. Du côté des professionnels du temps partagé, on note un rajeunissement de la population. Par le passé, il s’agissait avant tout de personnes âgées de 50 ans ou plus qui entamaient la dernière partie de leur carrière. Aujourd’hui, ils ont aussi 40 ans, voire 30 ans. Le travail à temps partagé rejoint les phénomènes du freelancing et du slashing, qui consistent à cumuler plusieurs activités tout en offrant plus de stabilité dans le temps. Il permet parfois de concilier travail et passion, comme pour une directrice financière qui gère, en parallèle, un élevage de chevaux.

Quels sont les prérequis pour exercer en temps partagé ?
D. B. : Ce mode de travail exige une certaine séniorité et des qualités de flexibilité et d’adaptabilité. Au moins une dizaine d’années d’expérience sont nécessaires pour être en capacité de gérer plusieurs employeurs.

Par ailleurs, le travail à temps partagé n’est pas un long fleuve tranquille. En début d’activité, il y a un effet d’inertie. Avant d’arriver à 3 ou 4 entreprises, il vaut mieux avoir mis des économies de côté et s’appuyer sur des contacts déjà bien identifiés. Pour ne pas s’isoler, il faut rester en veille et réseauter en rejoignant des associations professionnelles, des clubs d’affaires, des réseaux sociaux, comme LinkedIn.

Quels ont été les impacts de la crise ?
D. B. : Les fonctions supports dans les RH, la finance ou l’IT ont « profité » de la crise. En revanche, les professionnels de l’événementiel ou du marketing ont connu une chute de leur activité. En ce sens, le travail à temps partagé ne fait que suivre les tendances du marché de l’emploi.

Le vrai changement, c’est la généralisation du télétravail. Elle permet de s’organiser différemment qu’en présentiel et de partager ses journées. Il est possible de consacrer deux heures de travail à une entreprise, puis trois heures à une autre. Cette souplesse dans l’emploi du temps est désormais acceptée par les entreprises. Elles nous ouvrent un accès à distance à leur système d’information.

Étude : PROFIL TYPE : UN CADRE SENIOR DANS LES RH OU LE COMMERCIAL

Selon le baromètre 2021 du temps partagé, publié par le Portail du temps partagé et ses partenaires, le travailleur à temps partagé est un homme ou une femme (la parité est respectée), cadre (81 %), âgé de 50 ans et plus (56 %) et habitant en province (75 %).
Il exerce avant tout avec le statut d’indépendant (57 %). Le salariat (24 %) ou le portage salarial (9 %) arrivent après.
Tous les domaines d’activité sont concernés : à égalité avec 23 % chacun, on trouve en tête de liste les ressources humaines et le commercial-marketing. Viennent ensuite la finance et la gestion (13 %), l’industrie (9,6 %), l’administratif (9,2 %) et la communication (6,9 %).
En ce qui concerne les motivations du recours au temps partagé, 58 % des sondés disent l’avoir choisi pour tester une nouvelle façon de travailler. Pour 20 %, ce mode de travail était tout simplement une opportunité du moment et, pour 18 %, une façon de revenir sur le marché du travail.
Parmi les avantages du temps partagé, la diversité des missions (32 %), l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle (27 %), l’autonomie (23 %) et la mutualisation des risques sur plusieurs entreprises (9 %) ressortent nettement de l’étude.
Côté entreprise, le besoin d’expertise (26 %), la flexibilité de l’approche (25 %) et la maîtrise des coûts (21 %) forment le tiercé gagnant. Enfin, bonne nouvelle, 94 % des répondants souhaitent rester à temps partagé.