Télétravail : Après l'euphorie, la grande marche arrière ?

Télétravail : Après l'euphorie, la grande marche arrière ?

Généralisé avec la pandémie de Covid-19, le travail à distance connaît un net recul. Les entreprises bannissent le 100 % télétravail et optent pour une approche hybride, tentant de concilier le meilleur du distanciel et du présentiel.

Le télétravail a débarqué dans nos vies, il y a maintenant trois ans et demi, de façon aussi soudaine que massive. Depuis le printemps 2020, la pratique a connu le même fulgurant essor que la pandémie de Covid-19 qui l’a généralisée.

Contraintes et forcées, les entreprises, même les plus récalcitrantes sur le sujet, ont dû organiser le travail en distance. Quelques mois plus tard, elles se sont rendu compte que la productivité n’avait pas baissé, mais qu’en plus le télétravail permettait d’économiser des mètres carrés de bureau.

De leur côté, les salariés ont trouvé en nouvel équilibre vie professionnelle-vie personnelle en  supprimant les trajets domicile-travail et en gagnant en autonomie dans l’aménagement de leur emploi du temps. Changement de ton en cette rentrée 2023 où on assiste à un recul du télétravail. La tendance est particulièrement nette aux États-Unis. Alors qu’ils ne juraient, il y a encore quelques mois, que par le « full remote » (100 % de télétravail), les géants du numérique ont notamment opéré un virage à 180°.

Meta (Facebook), Google, Amazon ont battu le rappel de leurs troupes pour qu’elles reviennent fissa au bureau, les menaçant parfois de sanction. Ironie de l’histoire, Zoom, dont les solutions de visioconférence autorisent le travail à distance, présente le revirement le plus radical.

De ce côté-ci de l’Atlantique, le retour de balancier est moins violent, notre pays n’ayant pas poussé le curseur aussi loin. Une étude de l’Institut Ifo et d’EconPol indique que les salariés français ne travaillent à domicile que 0,6 jour par semaine contre 1 jour en Allemagne, 1,4 jour aux États-Unis et 1,5 jour au Royaume-Uni.

Le bureau, le lieu de socialisation

Il s’agit, bien sûr, d’une moyenne. Au sein des entreprises dont l’activité est éligible au travail à distance, un consensus se dessine autour de deux jours télétravaillés par semaine. Un savant équilibre qui permet de tirer le meilleur du distanciel et du présentiel.

Pour attirer et conserver leurs talents, les entreprises ne peuvent remettre en question le télétravail qui est devenu un acquis social. Dans le même temps, on n’a rien fait de mieux que le bureau pour créer du lien social et de la cohésion. Propice aux rencontres, aux échanges et à la créativité, il est le lieu où se tiennent les sessions de brainstorming, les événements, les présentations, les déjeuners d’équipe.

À l’inverse, la maison permet au collaborateur d’effectuer, au calme, des tâches complexes ou d’analyse réclamant toute son attention. Les entreprises ont mis du temps pour opérer cette saine division du travail. Prises de court avec la crise du Covid-19, elles n’ont fait, dans un premier temps, que copier-coller leur mode de fonctionnement traditionnel en le transposant à distance. Or, la maison n’a rien d’un bureau.

Parvenir à cette approche hybride suppose également, comme le note Philippe Pinault, PDG de Talkspirit, de poser un cadre clair, juste et équilibré. Après une période de flou où, dans les cas extrêmes, les collaborateurs pouvaient choisir à la carte le nombre et les jours télétravaillés, il convient d’instaurer des temps de présentiel communs à tous les membres d’une équipe.

Cette recherche d’équilibre est un enjeu clé. Selon une étude du Boston Consulting Group, les collaborateurs qui ne sont pas satisfaits de l’organisation du travail que leur entreprise leur propose sont 2,5 fois plus susceptibles de la quitter que les autres.

— Xavier BISEUL (Tribune Verte 3024)

Étude : Le pic de productivité se situe à 2 jours télétravaillés par semaine

Quels enseignements tirer de l’adoption soudaine et généralisée du télétravail à la suite de la pandémie de Covid-19 ? Pour le savoir, le Forum mondial de l’OCDE sur la productivité a interrogé des dirigeants et des employés de 25 pays sur leur expérience et leurs attentes en matière de télétravail.Les sondés ont une opinion globalement positive sur le télétravail avançant, pour les uns, le bien-être individuel et, pour les autres, la performance de l’entreprise. Graphique à l’appui, l’enquête montre que le volume idéal de télétravail se situe à 2-3 jours par semaine. À ce niveau, les avantages – réduction des déplacements domicile-travail et des distractions… – et les inconvénients – détérioration de la communication, moindres échanges de connaissances… - s’équilibrent. Au-delà de ce seuil, la productivité des collaborateurs aurait tendance à baisser. De leur côté, Les entreprises doivent fournir des efforts dans la coordination des emplois du temps et investir davantage dans les outils numériques et les compétences associées.

Avis d’expert : « À l'entreprise de poser un cadre clair, juste et équilibré »

Philippe Pinault, cofondateur et PDG de Talkspirit

Quel consensus se dessine en matière de télétravail ?
Philippe Pinault : Les entreprises sont à la recherche d’un équilibre. Elles se rendent compte que cela n’a plus de sens de passer au 100 % télétravail et de proposer aux salariés de revenir travailler exclusivement au bureau. Un équilibre doit être trouvé pour prendre le meilleur des deux mondes avec un consensus qui se dessine autour de deux jours télétravaillés. La pratique du télétravail est appelée à se pérenniser. Elle est devenue un acquis. Il s’agit de prendre en compte la demande de flexibilité et de bien-être au travail des employés. Dans la guerre actuelle des talents, une entreprise n’a pas d’autre choix que de proposer une expérience collaborateur positive. Dans le même temps, le bureau reste le meilleur espace pour bien travailler ensemble. L’entreprise, c’est un lieu de cohésion et de socialisation. Nous sommes des êtres sociaux qui se nourrissent des relations à l’autre. Il y a parfois de la souffrance chez certains télétravailleurs isolés.

Que doit faire une entreprise pour encadrer le télétravail ?
P. P. : Elle doit poser un cadre clair, juste et équilibré. Chacun ne peut pas faire comme il le veut. L’organisation du travail n’est pas la somme des décisions individuelles. La direction doit trancher sur le nombre de jours de télétravail. Puis, c’est au manager, au niveau de son équipe, d’organiser le télétravail au quotidien. La flexibilité du travail ne doit pas se faire au détriment de l’équipe. Si un ou deux membres sont en décalage et ne respectent pas les temps de présentiel communs, c’est tout l’édifice qui s’écroule.

Quels sont les apports et les risques du numérique ?
P. P. : Il donne de la transparence à l’information. Avec l’agenda partagé, chacun sait qui est disponible ou occupé. Un espace de travail collaboratif permet de distribuer les tâches, qu’elles se tiennent en distanciel ou en présentiel. Pour autant, le collaborateur doit pouvoir désactiver ponctuellement les notifications pour se concentrer sur une tâche en cours et faire respecter son droit à la déconnexion. De même, il convient d’avoir une approche respectueuse des données personnelles et de ne pas pousser trop loin les indicateurs qui permettraient de surveiller l’activité des collaborateurs, voire de les fliquer. En revanche, l’analyse de la donnée consolidée et anonymisée délivre une bonne image de nos modes de travail et peut alerter sur des dérives organisationnelles comme des réunions en visioconférence qui s’enchaînent sans temps de récupération. Certains collaborateurs ont également du mal à se fixer des limites quand ils télétravaillent.