Prêt pour le management hybride ?

Prêt pour le management hybride ?

Dans une organisation du travail en mode hybride, associant le meilleur du présentiel et du distanciel, le manager voit son rôle évoluer. Il doit définir de nouveaux modes de fonctionnement et revoir ses pratiques managériales.

Rouages essentiels des organisations, les managers n’auront pas été épargnés par la crise sanitaire. Lors du premier confinement, ils ont dû organiser dans l’urgence la généralisation du télétravail et revoir leurs pratiques pour assurer la cohésion des membres de leur équipe disséminés dans leurs domiciles respectifs.

Relever les défis de la mutation du travail

Depuis quelques mois, et alors que le pays apprend à vivre avec le virus, les managers doivent relever un nouveau défi, celui du travail en mode hybride ; c’est-à-dire, trouver des solutions pour manager une partie de son équipe travaillant au bureau et une autre à distance. Ce mode de fonctionnement inédit génère des relations asymétriques entre salariés sédentaires et télétravailleurs. Dans ce nouveau monde, le manager hybride doit se doter du don d’ubiquité, rien de moins que cela. Il doit assurer la cohésion d’une équipe éclatée en portant le même niveau d’attention aux collaborateurs présents physiquement à ses côtés et à ceux qui – loin des yeux, loin du coeur – interviennent à distance. Le manager doit maintenir l’engagement des télétravailleurs qui, isolés, peuvent se sentir exclus lors des moments de partage au bureau. À l’inverse, leurs collaborateurs non éligibles au télétravail peuvent nourrir un ressentiment par rapport à la liberté nouvellement conquise par leurs collègues. Le travail hybride fait aussi exploser les unités de temps et de lieu. N’ayant plus son équipe autour de lui, le manager ne peut plus, au débotté, organiser une réunion en battant le rappel des troupes. Il est contraint à une gymnastique permanente, alternant management en présentiel et management à distance, périodes synchrones et asynchrones.

Les atouts et les limites de l’hyperconnexion

Pour maintenir le même niveau d’information entre « collaborateurs de l’intérieur et de l’extérieur », le numérique est appelé à occuper une place toujours plus prépondérante. Au-delà de la visioconférence qui réunit à un instant T tous les membres d’une équipe, les outils de collaboration à distance – messagerie instantanée, agenda partagé, coédition de documents, gestion de projet, etc. – permettent de se coordonner et d’historiser les échanges. Une personne absente à une réunion peut rapidement se mettre à jour.

Cette hyperconnexion a toutefois ses limites et ses dérives. La multiplication des « visios » et les notifications des applications collaboratives entraînent une surcharge cognitive. Charge au manager de réguler les usages pour éviter la réunionnite virtuelle aiguë et de rappeler quels sont les modes de communication les plus appropriés pour chaque cas d’usage. Par exemple, une boîte e-mail ne sert pas à envoyer des messages instantanés. Cofondateur de Talkspirit et de Holaspirit, Philippe Pinault insiste sur l’importance de définir précisément les nouvelles règles de fonctionnement. Il peut être décidé que tous les collaborateurs se retrouvent un jour fixe par semaine au bureau. De même, une organisation peut acter que les réunions de brainstorming et de démarrage de projet se tiennent exclusivement en présentiel.

Un management par le résultat

Le management hybride appelle aussi à un changement de posture. Pour s’en sortir, le manager n’a d’autre choix que d’accorder davantage d’autonomie à ses collaborateurs. Puisque la productivité s’évalue indépendamment du temps de présence au bureau, le management par le résultat se substitue naturellement au management par le contrôle. On attend aussi du manager hybride un certain nombre de compétences comportementales, comme la capacité d’écoute et l’empathie pour arriver à une organisation du travail agile dans laquelle chacun s’y retrouve. Enfin, l’échange entre pairs est à favoriser. Au sein de communautés dédiées, les managers s’entraident et partagent leurs pratiques managériales.

— Xavier BISEUL (Tribune Verte 2978)

Étude : LES MANAGERS JUGÉS SUR LEURS COMPÉTENCES COMPORTEMENTALES

Selon une étude mondiale d’Adecco parue en juin 2020, les trois quarts des salariés plébiscitent le nouveau modèle hybride, associant travail sur site et télétravail. Même satisfecit côté dirigeants, qui sont près de huit sur dix à estimer que leur entreprise bénéficiera de cette nouvelle organisation du travail. Pour autant, celle-ci exige de nouvelles compétences managériales. Au niveau mondial, l’intelligence émotionnelle apparaît clairement comme le trait distinctif du bon manager.

En France, la capacité qu’ont les managers à faire confiance à leur équipe est considérée comme plus importante encore (75 %) que l’empathie (63 %). Vient ensuite l’agilité dans l’organisation du travail (69 %). La capacité à communiquer avec des équipes à distance (68 %) et l’aptitude à promouvoir et à encourager la cohésion d’équipe (68 %) sont également perçues comme des compétences managériales clés par les salariés.

Avis d’expert : « MANAGER DEVIENT  UN RÔLE ET NON PLUS UNE POSITION STATUTAIRE »

Philippe Pinault, cofondateur de Talkspirit et de Holaspirit

Quelle est la principale difficulté rencontrée par le manager hybride ?
Philippe Pinault : C’est de gérer la disponibilité de ses collaborateurs. Pour organiser des réunions dans de bonnes conditions, les membres de l’équipe doivent convenir de plages de disponibilité sur un agenda partagé. C’est nouveau. Par ailleurs, la visioconférence s’impose par défaut. Même s’il n’y a qu’un collaborateur qui travaille à distance ce jour-là, il faut le mettre dans la boucle. Les salles de réunion doivent être équipées en conséquence et les employés dotés de postes de travail nomades.

Comment accorder davantage d’autonomie aux collaborateurs ?
P. P. : Pour responsabiliser les équipes, il faut paradoxalement introduire des pratiques de travail plus rigoureuses et explicites : qui fait quoi et selon quels processus ? Une fois les règles du jeu connues, le collaborateur peut travailler en autonomie sans avoir à demander sans cesse l’avis de son manager. Un cadre de travail clair libère les initiatives. Cette formalisation du mode de travail permet aussi à une équipe de s’en emparer et, grâce à l’intelligence collective, de l’améliorer en continu. On le voit : entre le premier confinement et aujourd’hui, les entreprises ont, par itérations successives, optimisé leurs modes de fonctionnement. Avec cette organisation transparente, on passe d’un management vertical et hiérarchique à un modèle plus à plat, basé sur un réseau d’équipes autogérées.

Comment la crise a-t-elle fait évoluer le rôle du manager ?
P. P. : Elle met définitivement fin aux managers toxiques et aux « petits chefs » qui tirent leur pouvoir de la rétention d’informations. Le manager évolue dans un rôle de coach qui vient en support de son équipe, enlève les irritants et les petits cailloux dans la chaussure, et aide à la faire grandir. Manager devient un rôle et non plus un attribut lié à une position statutaire. Tout le monde n’est pas appelé à devenir manager. Monter dans la hiérarchie juste par le jeu de l’ancienneté, sans avoir envie ou des prédispositions, fait rarement de bons cadres. Un manager doit avoir naturellement des compétences comportementales, comme l’écoute et l’empathie. Par ailleurs, manager n’est pas forcément un « métier » à temps complet. Un individu peut être chef d’équipe sur un projet et opérationnel le reste du temps.