Management : l'expérience collaborateur sort renforcée de la crise
L’expérience collaborateur renforce l’attractivité et l’engagement, des facteurs clés dans le contexte actuel. Les entreprises pionnières ont également mieux anticipé la généralisation du télétravail.
La crise sanitaire aura permis de conforter la notion d’expérience collaborateur. Dans le contexte anxiogène de la pandémie, la santé physique mais aussi psychologique des salariés est devenue un enjeu prioritaire des employeurs. La guerre des talents, dopée par les grandes transformations numérique et écologique en cours, incite également à améliorer le bien-être et l’épanouissement au travail.
Selon le baromètre 2021 de l’agence Parlons RH, 43 % des entreprises françaises ont mis en place une politique d’expérience collaborateur, contre 25 % il y a deux ans. Soit un bon inédit de 18 points. Pour plus de huit entreprises « pratiquantes » sur dix, l’expérience collaborateur leur a permis de mieux traverser la première partie de la crise sanitaire. Ces entreprises pionnières avaient déjà les outils et les bonnes pratiques pour mettre en place les conditions d’un télétravail efficace, ou pour recruter et former à distance. Donnant la preuve par l’exemple, elles ontservi de vitrine. Du coup, 70 % des entreprises qui ne pratiquent pas l’expérience collaborateur envisagent de le faire à plus ou moins long terme.
La qualité de vie au travail, un enjeu clé
L’expérience collaborateur ne doit pas être confondue avec la marque employeur ou la qualité de vie au travail (QVT) même si ces pratiques RH s’articulent entre elles. Pour Parlons RH, il s’agit d’« une démarche de marketing RH qui consiste à mesurer et à améliorer de façon itérative ce vécu des collaborateurs ».
« L’expérience collaborateur est encore appréhendée par le petit bout de la lorgnette, déplore Thomas Chardin, son dirigeant fondateur. Beaucoup d’entreprises restent sur l’écume des choses en la considérant encore comme de la communication. » L’expérience collaborateur a pourtant un large périmètre puisqu’elle couvre tout ce qu’un employé perçoit et ressent au sein de l’entreprise, de son acte de candidature jusqu’à son départ. « Ce parcours est semé de moments forts – comme une promotion, une formation longue – et des moments prosaïques tels que le rituel de la pause-café », poursuit Thomas Chardin. Tout l’enjeu consiste à fluidifier les interactions entre l’employé et l’entreprise et, comme pour l’expérience client, à diminuer autant que possible les irritants. Cela passe notamment par une organisation du travail et un management plus souples, mais aussi par une meilleure circulation de l’information.
La digitalisation des process RH, du recrutement à la gestion de carrière en passant par le parcours d’intégration (onboarding), la paie ou la formation, participe ainsi d’une meilleure expérience collaborateur. Dans le baromètre de Parlons RH, le classement des objectifs principaux attribués à l’expérience collaborateur reste stable. L’engagement des collaborateurs et la performance globale de l’entreprise arrivent en tête des finalités premières de la démarche. En revanche, la qualité de vie au travail détrône l’attractivité sur la troisième place du podium. « On peut y voir sans doute l’effet de la crise, qui met en avant les problématiques RH internes et renvoie au second plan les soucis de recrutement », estime l’étude. Il y a, en revanche, un consensus sur la priorité numéro des responsables RH dans un monde post-crise : former les managers au management à distance.
« La majorité des managers n’avaient jamais eu à gérer leurs équipes à distance, rappelle Séverine Loureiro, auteur du livre Boostez l’expérience collaborateur et citée dans l’étude. Même ceux qui étaient considérés comme de bons managers par leur équipe ont rencontré des difficultés dans cette période. Manager à distance, ce n’est pas le même métier. Il va falloir gérer des salariés qui ne seront pas tous là à la même heure ni les mêmes jours. » Une expérience collaborateur à la carte.
—— Xavier BISEUL (Tribune Verte 2961)
Avis d’expert : « LES ENTREPRISES PIONNIÈRES ÉTAIENT DAVANTAGE PRÉPARÉES À LA CRISE »
Thomas Chardin, dirigeant fondateur de Parlons RH
Quels sont les impacts de la crise sur l’expérience collaborateur ?
Thomas Chardin : Notre dernier baromètre montre un bond significatif de la pratique. La crise a servi de révélateur. Les entreprises qui avaient entrepris une politique d’expérience collaborateur s’en sortent mieux. Avec leur organisation du travail plus souple, elles étaient davantage préparées. Elles avaient introduit une bonne dose de télétravail ou mis en place le flex office. Il y a un phénomène de mimétisme. Les entreprises pionnières donnent le ton et les autres suivent. On le voit dans le changement de modèle managérial. À l’ère de la collaboration à distance, la posture du manager en mode « command and control » est complètement dépassée. Il doit accorder une large autonomie à ses équipes.
En quoi cette expérience collaborateur est-elle si importante ?
T. C. : Dans une économie française, largement tertiairisée et digitalisée, le capital humain devient plus important que le capital client et même le capital financier. Dans la guerre des talents qui sévit, un employeur doit adresser de façon systémique les trois dimensions que sont l’attractivité, la rétention et l’engagement.
Chez les entreprises qui ont oublié le volet fidélisation, c’est le tonneau des Danaïdes. Pour compenser la fuite des talents, elles accélèrent sur le recrutement sans chercher à colmater les brèches. Enfin, il y a le désengagement moral et physique. Il fait exploser l’absentéisme qui atteint 20 jours par an et par salarié. La dégradation des performances sociales conduit mécaniquement à une baisse de la productivité.
La crise peut être l’occasion pour une entreprise de refaire sens avec la société. Par un travail d’introspection, elle amène à se demander quelle est sa véritable raison d’être. Pourquoi un candidat la rejoindrait ? Souvent, une entreprise se présente en énonçant ce qu’elle fait et non son ambition. Le principe de Décathlon n’est pas de distribuer des articles de sport mais de transmettre la passion du sport.
Est-ce que la crise réhabilite le rôle des DRH ?
T. C. : Les DRH ont énormément donné durant la crise. Ils étaient sur le pont avec beaucoup d’abnégation et d’humilité. Habituellement accaparés par les tâches administratives, ils ont retrouvé le sel de leur fonction en consacrant davantage de temps à l’écoute des salariés et à l’accompagnement des managers. Les DRH ont concrètement aidé des collaborateurs qui n’avaient pas d’espace de travail ou une connexion limitée. Alors que les frontières entre vie personnelle et vie professionnelle sont de plus floues, l’attention portée à l’autre devient essentielle. Un employeur qui se serait mal conduit avec ses salariés durant la période actuelle pourrait connaître un retour de bâton et voir fuir ses talents en sortie de crise.
Étude : PRIORITÉ N° 1 : FORMER AU MANAGEMENT À DISTANCE
Quelles sont les priorités RH pour améliorer l’expérience des salariés au travail ? Les décideurs RH sondés pour le baromètre 2021 de Parlons RH estiment, à 72 %, que la première urgence est de former les managers à la gestion des équipes à distance. La crise sanitaire et les confinements successifs ont bien fait prendre conscience des difficultés de la collaboration en mode télétravail généralisé. Le maintien du lien social et la mise en place de dispositifs pour mieux concilier la vie personnelle et la vie professionnelle, comme des horaires aménagés, arrivent ensuite. La dotation en outils numériques collaboratifs, la refonte de la politique de gestion des compétences et de formation ainsi que l’amélioration du protocole sanitaire et de prévention des risques ferment le ban.