Management : êtes-vous prêt pour la semaine de 4 jours ?

Management : êtes-vous prêt pour la semaine de 4 jours ?

La crise sanitaire et la transformation numérique redonnent vie au débat sur le passage à 32 heures. Meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle, levier d’attractivité et de fidélisation… Les entreprises pionnières mettent en avant un certain nombre de bénéfices RH.

En remettant en cause l’organisation même du travail, la crise sanitaire aura remis en selle le vieux débat autour de la semaine de 4 jours. L’idée n’est pas nouvelle. Elle était évoquée dès les années 1990 par des hommes politiques comme Jacques Delors, Pierre Larrouturou ou Gilles de Robien. En abolissant les notions de temps de travail et de bureau physique, la transformation numérique et la généralisation du télétravail rendent aujourd’hui plus tangibles cette possibilité de passer à 32 heures.

La pandémie a, par ailleurs, rappelé l’importance du bien-être au travail et d’un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Alors que la menace de plans sociaux plane en cette rentrée, le passage à quatre jours peut enfin être un outil pour maintenir l’emploi comme l’a fait par le passé Volkswagen en Allemagne. L’Islande a déjà testé ce changement de rythme, l’Espagne vient de sauter le pas, le Japon et la Nouvelle-Zélande se penchent sur la question. En France, la semaine de 4 jours devrait être un des marqueurs de la prochaine élection présidentielle. Nos compatriotes sont en tout cas prêts. Selon une étude de Citrix, 84 % d’entre eux seraient prêts à travailler moins à condition toutefois de gagner autant (lire ci-dessous). Des entreprises ont d’ores et déjà expérimenté ce nouveau tempo comme LDLC (e-commerce), IT Partner (services informatiques), Yprema (recyclage matériaux de déconstruction), Love Radius (porte-bébé) Awin (plateforme d’affiliation) ou Welcome to the jungle (site emploi). Leur taille modeste leur donne certes davantage de latitude et d’agilité pour innover sur le plan organisationnel. Dans leurs retours d’expérience, tous ces pionniers mettent en avant les enjeux RH. Au-delà de la qualité de vie au travail (QVT), la semaine de 4 jours est un levier d’attractivité et de fidélisation des talents. Un argument choc sur lequel  communiquer dans le cadre d’une stratégie de marque employeur.

Renforcer l’autonomisation des salariés

Sur le plan managérial, le passage à 4 jours permet d’octroyer davantage de responsabilité et d’autonomie aux collaborateurs. Un moyen aussi de renforcer leur engagement et de lutter contre le présentéisme. Charge aux salariés de s’organiser pour répartir leur charge de travail et d’optimiser le temps de travail effectif. Pour gagner en productivité, des formations et des séances de coaching peuvent être proposées pour apprendre à mieux gérer son temps. Ou comment faire la chasse à tous ces moments où la productivité baisse dangereusement comme ces réunions mal préparées ou ces heures passées à naviguer sur le Web et les réseaux sociaux. Microsoft aurait augmenté sa productivité de 40 % au Japon en chômant un jour de plus.

La semaine à 4 jours peut s’accompagner du déploiement de solutions numériques pour automatiser les tâches à faible valeur ajoutée et décharger d’autant les collaborateurs. Il s’agit aussi de faire preuve de flexibilité dans le dispositif. Certaines sociétés ont opté pour deux demi-journées «off» quand d’autres plaident en faveur de la semaine comprimée (des journées plus longues sur 4 jours) ou proposent à leurs collaborateurs de pendre autant de vacances qu’ils le souhaitent comme l’éditeur de logiciels de gestion Anikop. Pour Dimitri Granger, cofondateur de l’agence de conseil et de communication .yz, la semaine de 4 jours ne doit pas être imposée aux entreprises comme le furent les 35 heures par la loi (lire interview). « C’est avant tout une vision de la société qui répond aux aspirations des salariés. Cela doit venir du terrain. » La semaine de 4 jours a aussi des effets induits. Avec la baisse de la consommation énergétique et des déplacements, la réduction du temps de travail aurait un impact non négligeable sur le bilan carbone. Un atout de plus dans le cadre d’une stratégie de responsabilité sociétale des entreprises (RSE).

—— Xavier BISEUL (Tribune Verte 2971)

Étude : UN PLÉBISCITE SOUS CONDITIONS

Selon une étude de Citrix datant de novembre 2019, 84 % des salariés français choisiraient volontiers de ne travailler que quatre jours par semaine si on leur proposait. Un tiers d’entre eux (34 %) pense même que leur employeur va le leur proposer dans les dix prochaines années. Si cette réduction de temps de travail fait l’unanimité, elle ne doit pas s’effectuer n’importe comment. 71 % des personnes sondées n’opteraient pour cette alternative qu’à condition de conserver le même niveau de salaire. Elles expriment également des inquiétudes quant aux congés qui pourraient être rognés (54 %) et redoutent que la pression au travail se fasse plus intense (55 %). Des craintes sont enfin émises sur une éventuelle baisse de la productivité. 46% des Français interrogés pensent qu’ils ne seraient pas en mesure d’effectuer leur travail actuel en quatre jours.

Avis d’expert : « DÉCONNECTER UN JOUR PAR SEMAINE FAIT UN BIEN FOU »

Dimitri Granger, cofondateur de l’agence de conseil et de communication .yz

Dans quel contexte expérimentez-vous la semaine de 4 jours ?
Dimitri Granger : L’expérimentation a débuté en novembre 2020 et durera un an. Le vendredi, c’est « day off ». Les collaborateurs n’ont plus d’obligation d’être présents physiquement ou en ligne. Ils peuvent en profiter pour se reposer, pratiquer du sport, s’occuper des démarches administratives ou partir en week-end en avance. Il est préférable d’imposer un jour fixe et non de laisser le choix du jour en fonction des desiderata des uns et des autres. Cela deviendrait rapidement un ingérable. S’agissant d’une expérimentation, les contrats de travail n’ont pas été modifiés, mais une charte encadre les modalités. La liberté est aussi laissée aux collaborateurs qui le souhaitent de travailler ce jour-là, au calme, sans être dérangés. Certains sont en début de carrière, n’ont pas d’enfant et souhaitent s’investir dans leur travail. Sinon je vais passer la journée sur la PlayStation, me disent-ils.

Quels gains avez-vous observés ?
D. G. : L’objectif est de synchroniser nos aspirations personnelles avec les performances professionnelles. Débrancher un jour par semaine fait un bien fou. La déconnexion devient un luxe dans notre monde de l’immédiateté. Dégager 8 heures sur une semaine, c’est tout à fait jouable. Il y a des temps improductifs, passés dans les transports ou à regarder les réseaux sociaux.

Je ne note pas de gain de productivité. En revanche, il y a des effets induits notamment en termes de fidélisation des équipes. La loyauté des salariés est plus grande. C’est mesurable sur le turn-over. En sortie de crise, dans les mois qui viennent, je pense qu’on le verra. En termes d’attractivité, c’est aussi un élément différenciant dans une stratégie de marque employeur. Sur le plan managérial, la semaine de 4 jours véhicule un message fort. Pour travailler moins mais mieux il faut être responsable et autonome. Cela ne convient toutefois pas à tout le monde et ce n’est pas une question d’âge et d’expérience.

A contrario, quelles sont les limites de l’exercice ?
D. G. : Dans nos métiers de service, il est difficile de dire à nos clients que nous sommes fermés jeudi soir et que quoi qu’il arrive ils n’auront pas de réponse avant lundi. Il y a une zone grise et nous n’avons pas été jusque-là. Par ailleurs, le fait que certains collaborateurs continuent à travailler et d’autres non crée une asymétrie entre aux mais aussi avec les free-lances.