La transformation digitale est avant tout une transformation RH
Management horizontal, open innovation, méthodes agiles… La révolution numérique en cours change radicalement nos façons de travailler. La DRH doit à la fois accompagner le mouvement et anticiper les futurs besoins en compétences.
La transformation numérique est généralement abordée sous le seul angle technologique. À longueur d’articles, des
experts vantent les opportunités offertes par l’intelligence artificielle, le big data, la blockchain ou l’Internet des objets (IoT). C’est oublier que ces nouvelles technologiques sont potentiellement accessibles à toutes les entreprises, et que seules certaines, plus agiles et innovantes, arrivent à capitaliser sur leur usage. La transformation numérique est donc avant tout une transformation organisationnelle. Il ne suffit pas de distribuer des tablettes à tous les employés pour insuffler un esprit start-up. L’acculturation au numérique implique des bouleversements beaucoup plus profonds. Libérer les énergies créatrices suppose de rompre avec les systèmes hiérarchiques pyramidaux et leurs lourdeurs. Avec les concepts d’entreprise libérée ou d’holacratie, de nouvelles formes d’organisation plus horizontales et bienveillantes émergent, encourageant les initiatives individuelles. Sur le principe de l’open innovation, l’entreprise s’ouvre aussi sur l’extérieur, collaborant avec des free-lances, des start-up et des partenaires. Le travail devient collaboratif. Sur le principe des méthodes agiles, des équipes pluridisciplinaires, composées de collaborateurs issus de différents métiers, se constituent le temps d’un projet. Par ailleurs, la posture du cadre intermédiaire change. Le « petit chef » ne tire plus son autorité du nombre de collaborateurs sous son ordre ou de la taille de son bureau. Il se transforme en coach, en animateur d’équipe.
Les compétences comportementales plébiscitées
On le voit, la DRH a un rôle de premier plan à jouer sur tous ces sujets. Elle est surtout attendue sur le terrain de l’anticipation des compétences. La transformation numérique n’a fait que raviver la guerre des talents, les entreprises recherchant toutes les mêmes profils. Il s’agit d’attirer les oiseaux rares, et surtout de les retenir en soignant leur parcours d’intégration (onboarding). Ensuite, il faut maintenir leur employabilité. L’intelligence artificielle est notamment appelée à transformer en profondeur la plupart des métiers connus, voire à les faire disparaître. Selon une étude publiée par Dell et par l’Institut pour le futur, 85 % des emplois de 2030 n’existent pas encore ! Pour anticiper cette obsolescence programmée des compétences, la DRH permettra aux collaborateurs de se former en permanence, en mettant à leur disposition des contenus en ligne (e-learning, Moocs, réalité virtuelle…). Elle doit favoriser la mobilité interne et les passerelles entre les métiers. Cette évolution permanente aux mutations technologiques change aussi le profil recherché. Les compétences comportementales (soft skills), comme l’autonomie, l’esprit d’initiative, le relationnel ou la capacité à travailler en équipe, prennent le pas sur les compétences techniques (hard skills). « Le savoir-être tend à l’emporter sur le savoir-faire », confirme Pascal Grémiaux, président fondateur d’Eurécia (lire notre interview). Une entreprise recrute avant tout un potentiel, une personne qui fera preuve d’agilité et sera dans l’adaptation permanente.
Enfin, la DRH doit protéger les salariés du stress électronique et de la pression psychologique générés par les nouvelles technologies. « Le volume d’informations que nous traitons chaque jour a été multiplié par cent en quelques années, poursuit Pascal Grémiaux. À cela s’ajoute l’immédiateté qu’induit le numérique. On a toujours l’impression d’être en retard. Le burn-out et les risques psychosociaux (RPS) sont des maladies des temps modernes. Elles n’existaient pas avant. »
Encadrer les usages du numérique
Éditeur de logiciels de gestion RH, Eurécia a lancé il y a un an un module dédié au bienêtre au travail. Le collaborateur signale par un smiley vert, jaune ou rouge son état d’esprit du moment. « Il n’a pas vocation à résoudre les problèmes, mais permet de remonter des alertes en cas de détérioration du climat social de l’entreprise. » Enfin, permettant de travailler n’importe où et n’importe quand, les nouvelles technologies gomment les frontières entre vie personnelle et vie professionnelle. Si elles offrent une plus grande autonomie au collaborateur avec le télétravail, elles peuvent aussi déséquilibrer sa vie privée. Au DRH de mettre les gardefous nécessaires.
—— Xavier BISEUL (Tribune Verte 2913)
Avis d’expert : « LA DRH DOIT GÉRER LES INJONCTIONS CONTRADICTOIRES DE LA TRANSFORMATION NUMÉRIQUE »
Pascal Grémiaux, président fondateur d’Eurécia
Que change la transformation numérique dans la façon de travailler ?
Pascal Grémiaux : Elle oblige à travailler de manière collaborative. La prise de décision est décentralisée, et l’entreprise se repose davantage sur les compétences de chaque individu. Ce qui peut amener à de nouveaux modes de management ouvert, donnant plus d’autonomie au collaborateur et rééquilibrant la relation entre manager et managé. On passe d’un management directif à un management collaboratif.
Par ailleurs, les compétences évoluent en permanence. Les enseignements aujourd’hui appris à l’école ne seront plus d’actualité demain. L’individu doit être en capacité de se remettre en cause en permanence. Bien sûr, cela occasionne une forme de résistance au changement. Pour un jeune diplômé, c’est une évidence, mais plus on avance en âge et plus les efforts coûtent. C’est comme pour l’apprentissage d’une langue étrangère.
Alors que l’âge de la retraite recule d’une année chaque décennie, cette capacité à évoluer en permanence sera mise à rude épreuve. Certes, le temps de travail a été réduit (nous travaillons en moyenne 1 600 heures par an, soit deux fois moins que nos grands-parents), mais il est plus intense. La productivité a fortement augmenté.
Face à ces changements, que doit faire la DRH ?
P. G. : Elle doit accompagner ces transformations et être le trait d’union entre les collaborateurs et les managers. La DRH doit aussi gérer des injonctions contradictoires entre, d’un côté, la notion d’entreprise libérée et une organisation du travail plus flexible, avec l’introduction du télétravail et, de l’autre, le stress électronique et le déséquilibre entre vie personnelle et vie professionnelle qu’il occasionne. Il y a bien sûr les horaires obligatoires inscrits dans le contrat de travail et le droit à la déconnexion, mais, dans la réalité, il faut faire preuve de souplesse. La solution ne peut passer que par la responsabilisation des individus. On ne peut interdire à un salarié d’aller chez le dentiste en fin d’après-midi, puis de poursuivre son travail une fois rentré chez lui.
Étude : LES SALARIÉS FRANÇAIS ONT UN RAPPORT CONTRASTÉ AVEC LE NUMÉRIQUE
Selon une étude réalisée par OpinionWay pour la société Hub One, 60 % des salariés français estiment que leur métier s’est largement digitalisé. Un peu de la moitié (45 %) des sondés considère les nouvelles technologies comme un allié. Elles leur permettent de trouver des solutions aux problèmes auxquels ils sont confrontés (72 %), de mieux s’organiser (69 %), d’optimiser leur productivité (68 %) et de gagner en flexibilité (60 %). Si la qualité de travail s’en trouve améliorée, cela ne se fait pas sans contrepartie. Évoluant constamment et rapidement, les nouvelles technologies obligent à se former en permanence (69 %). 60 % des sondés ont aussi noté une augmentation du rythme et de l’intensité du travail. Enfin, le numérique peut créer un sentiment de décalage : 57 % des répondants jugent que les technologies contribuent à creuser l’écart générationnel.