La GPEC, ou comment anticiper les compétences de demain

La GPEC, ou comment anticiper les compétences de demain

Pour faire face aux mutations technologiques et économiques, une entreprise doit prévoir les ressources humaines dont elle aura besoin dans les années à venir. C’est tout l’enjeu de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, qui répond à plusieurs grands principes.

Transformation digitale, transition écologique, mondialisation… Les ruptures, qu’elles soient technologiques, économiques ou climatiques, se multiplient. Elles contraignent les entreprises à s’adapter en permanence pour faire face aux mutations en cours. Le numérique, et tout particulièrement l’intelligence artificielle, transforme des métiers existants et en fait émerger d’autres. Avec le tracteur connecté ou les drones, l’agriculteur voit, par exemple, son métier évoluer. Et de nouveaux modèles d’organisation du travail se généralisent avec le télétravail, le flex office ou le freelancing. Tous ces changements amènent les entreprises à réfléchir à leurs besoins en ressources humaines pour les années à venir. C’est tout l’enjeu de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Elle consiste à cartographier les emplois existants, à se projeter sur les compétences demandées dans le futur, puis à réduire les écarts, avec notamment la formation. Un exercice délicat sachant que, selon une étude publiée par Dell et l’Institut pour le futur, 85 % des emplois de 2030 n’existent pas aujourd’hui ! La loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale a créé l’obligation de négocier, avec les partenaires sociaux, la mise en place d’une GPEC pour les entreprises de plus de 300 salariés.
Pour autant, selon Éric Lhomme, directeur activité stratégie RH du cabinet Oasys, cette démarche de prospective n’est pas réservée aux seuls grands comptes et peut concerner toute organisation, quelle que soit sa taille.

La GPEC, une fusée à trois étages

Une GPEC doit toutefois respecter un certain nombre de principes. « Ce n’est pas seulement une démarche RH, explique-t-il. Elle doit aussi être managériale et stratégique. Si le plan d’actions est piloté par la fonction RH, la direction générale doit être étroitement associée en amont. Le besoin en compétences naît, en effet, des choix stratégiques opérés par l’entreprise. Il s’agit de préparer l’avenir en adaptant les compétences. » Pas question donc de faire un copier-coller entre entreprises de taille et de secteur comparables. Aux yeux d'Éric Lhomme, la GPEC est une fusée à trois étages. Le premier, c’est la cartographie.
Le deuxième, les projections sur les métiers à venir. Le dernier consiste à réduire l’écart entre l’existant et la cible. Un plan d’actions porte sur la formation, sur la mobilité, sur le recrutement. En matière de formation, il faut jouer sur toute la palette : alternance, présentiel, e-learning, blended learning, autoformation…

Communiquer auprès des collaborateurs

« Le mieux est l’ennemi du bien, alerte Éric Lhomme. Il y a toujours une tentation de décrire très finement les emplois et les compétences pour faire ensuite des projections. L’outillage prend le pas sur le reste avec le risque d’aboutir à une usine à gaz. Il faut bien sûr modéliser les emplois et les compétences, mais à un niveau de finesse juste pour rester dans une approche pragmatique. Sinon, vous y passerez trop de temps, et dans l’intervalle, les métiers ainsi définis auront évolué. »
Par ailleurs, une GPEC suppose un devoir de transparence. « Il faut impliquer tout le corps social. Cela passe par la concertation avec les partenaires sociaux, comme le prévoit la loi. Il s’agit aussi de communiquer auprès de l’ensemble des salariés sur les actions engagées à travers, par exemple, un forum des métiers ou une semaine de l’emploi. »
Cette communication doit être ciblée en fonction du degré de sensibilité aux transformations en cours de certaines populations. « Les personnes dont les métiers sont faiblement impactés ont besoin d’une information globale. À l’inverse, des employés qui verront leur métier changer radicalement, voire disparaître, doivent être accompagnés. » Pour réduire le climat anxiogène que ces transformations peuvent générer, il faut, selon Éric Lhomme, mettre en avant les dispositifs du plan d’actions. « Si elle est faite de façon pédagogique, la GPEC participe à la qualité de vie au travail en donnant la possibilité aux collaborateurs de maintenir leur employabilité mais aussi une visibilité sur le futur de leurs métiers. Elle peut aussi favoriser l’attraction et la rétention des talents. »
Enfin, la GPEC doit s’inscrire dans la durée. S’il existe des ruptures de marché ou technologiques, les changements arrivent néanmoins par petites touches, note l’expert. « Réaliser une GPEC tous les dix ans n’a plus de sens. Il faut entrer dans une logique d’observatoire des métiers. » Il rappelle toutefois que la GPEC ne reste qu’un outil d’animation managériale, ce n’est pas la panacée. Il s’agit seulement de mettre des techniques RH au service du management.

Avis d’expert : « POUR NE PAS SUBIR LA TRANSFORMATION NUMÉRIQUE, IL FAUT L’ANTICIPER »

Gérard Napias, président de la Fédération nationale entrepreneurs des territoires (FNEDT)

Quelle est la stratégie de GPEC de la FNEDT ?
Gérard Napias : Depuis plusieurs années, la FNEDT a mis en place une gestion prévisionnelle de l’emploi appliquée aux entreprises prestataires de services. La fédération nationale laisse l’initiative aux fédérations régionales et départementales pour identifier les nouvelles compétences, puis elle compile ces informations au niveau du territoire. Elle les restitue sous forme d’études et de tableaux, qu’elle communique aux différents acteurs. Certaines régions sont plus dynamiques que d’autres. Elles peuvent ainsi se comparer entre elles et entraîner d'autres régions, ce qui crée une émulation positive. Le Nord et le grand
Ouest sont particulièrement moteurs. Cette GPEC permet le partage de retours d’expérience et de bonnes pratiques. Bien sûr, elle n’est pas figée, elle évolue en permanence.

Quelles sont les grandes tendances observées ?
G. N. : Tout d’abord, la transformation numérique des entreprises exige de nouvelles compétences. Les machines agricoles embarquent de plus en plus de technologies avancées, qu’il convient de maîtriser. Cela ne sert à rien de s’équiper d’un matériel de dernière génération si toutes ses fonctionnalités ne sont pas exploitées. Pour ne pas subir la transformation numérique, il faut l’anticiper.
L’autre tendance porte sur l’approche commerciale dans la prestation de service.
Un entrepreneur de travaux agricoles peut avoir plusieurs salariés. Sur un chantier, ce sont ces derniers qui seront en contact direct avec les clients. Les compétences relationnelles, la façon de se présenter, la qualité des conseils apportés sont primordiales. Un client bien servi demandera à travailler avec le même collaborateur. Confrontés à une pénurie de main-d’oeuvre, certains entrepreneurs pourraient être tentés d’être moins sélectifs alors que ce volet relationnel est essentiel à la qualité de leur prestation. La FNEDT est ainsi une grande fervente de l’apprentissage, qui permet d’évaluer l’apprenti et de le former aux bonnes méthodes de travail des ETA par la pratique.

—— XAVIER BISEUL (Tribune Verte N°2912)
Crédit photo : WRIGHTSTUDIO/ADOBE STOCK