Intelligence artificielle : quelles menaces, quelles opportunités pour l'emploi ?
L’arrivée de nouveaux outils d’IA générative comme ChatGPT pourrait supprimer un certain nombre d’emplois dans l’édition ou le juridique tout en étant porteuse de nouvelles activités. C’est aux entreprises d’anticiper ces mutations profondes.
À moins d’avoir passé les six derniers mois sur une île déserte, vous avez certainement dû entendre parler de ChatGPT. Franchissant une nouvelle étape dans le développement de l’intelligence artificielle (IA), le robot conversationnel de la société OpenAI n’en finit plus de faire la une des médias, spécialisés comme grand public.
Passant allégrement le test de Turing – un humain dialogue avec une machine sans la distinguer d’une personne – ce type d’IA générative permet de donner le plan d’un article, de résumer un texte, d’écrire un mail, une lettre de motivation ou de générer du code informatique. D’autres IA comme Midjourney ou Dall.E génèrent, elles, des images à partir d’un texte descriptif.
Ces outils étant en accès libre, tout un chacun a pu tester leur utilité à titre personnel, mais aussi dans le cadre de son activité professionnelle, ce qui a pu donner des sueurs froides à certains. Une étude de Goldman Sachs estime que l’IA générative pourrait conduire à l’automatisation de l’équivalent de 300 millions d’emplois à temps plein et même le quart des emplois dans les pays avancés.
Après les cols bleus, les cols blancs
À la différence des robots qui dans l’industrie ont remplacé un certain nombre d’ouvriers sur les lignes de production, l’IA va, elle, davantage impacter les cols blancs. Selon une autre étude, provenant cette fois d’OpenAI, d’OpenResearch et de l’université de Pennsylvanie, les métiers de la finance, de l’éducation, du journalisme, de l’ingénierie et du graphisme sont particulièrement menacés.
Les interprètes, les traducteurs, les rédacteurs, les assistants juridiques ou les comptables seraient notamment dans le viseur. A contrario, les professions reposant sur la main-d’oeuvre dans l’agriculture, le BTP ou l’hôtellerie-restauration connaîtront un impact très limité. Ce type d’études alarmistes n’est pas nouveau. Il y a cinq ans, des études du cabinet Roland Berger et de l’université d’Oxford prévoyaient que la numérisation de l’économie supprimerait des emplois par millions. Selon la théorie de la « destruction créatrice » chère à Joseph Schumpeter chaque cycle d’innovation commence par détruire des emplois avant d’en créer plus qu’elle n’en supprime. L’IA générative a déjà fait émerger un nouveau métier, celui de « prompt engineer », soit l’expert en formulation de requête qui travaille à obtenir les réponses les plus pertinentes d’une IA.
Mettre en place une GPEC
Par ailleurs, il faut raison garder. L’humain possède encore des compétences rares d’analyse, d’interprétation ou de créativité que la machine ne peut pas (encore) reproduire. De plus, l’IA montre encore des limites. Elle se présente avant tout comme un assistant qui, en nous déchargeant des tâches fastidieuses et sans valeur ajoutée, permet de nous consacrer à des missions plus nobles.
Au regard des investissements consentis par les GAFAM et des progrès déjà obtenus, l’IA est néanmoins appelée à se développer, entraînant, à moyen et long terme, de profondes mutations du marché de l’emploi. À moins de faire l’autruche, un employeur responsable se doit d’anticiper cette lame de fond.
À travers une stratégie de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), une entreprise va cartographier les compétences qu’elle doit conserver, développer ou acquérir et mettre en oeuvre le plan de formation, de reconversion ou de recrutement correspondant. Et le cas échéant se faire aider par… ChatGPT.
— Xavier BISEUL (Tribune Verte 3014)
Étude : 61 % DES JEUNES FRANÇAIS REDOUTENT L’IMPACT DE L’IA SUR LEUR CARRIÈRE
Selon une enquête réalisée par Kantar pour le site de recrutement JobTeaser et portant sur près de mille Français, 39 % des actifs déclarent avoir utilisé un outil d’intelligence artificielle de type ChatGPT au moins une fois dans le cadre de leur activité. Un chiffre qui monte à 65 % chez les 18-27 ans. Dans le domaine du recrutement, près de la moitié (49 %) des personnes interrogées ont l’intention d’utiliser un outil d’IA dans leur recherche d’emploi afin de faciliter leur candidature, notamment en les aidant à rédiger une lettre de motivation. La génération Z est particulièrement convaincue par l’apport de l’IA dans le monde professionnel, estimant qu’elle facilite le quotidien (82 %), libère du temps de travail (81 %) et va à terme créer de nouveaux emplois (64 %). Davantage consciente des possibilités de la technologie, la génération Z est également la plus pessimiste en ce qui concerne ses risques. Près des deux tiers des 18-27 ans (61 %) déclarent se sentir menacé par l’impact potentiel de l’IA sur leur travail ou leur carrière. Les générations précédentes se montrent moins inquiètes pour leur avenir avec 55 % des millennials (28-42 ans) et seulement 33 % au sein de la génération X (43-60 ans).
Avis d’expert : « PLUTÔT QUE DE SUBIR LA TECHNOLOGIE, ENVISAGEONS-LA DE FAÇON POSITIVE »
Aurélien Magnan, cofondateur d’Elevate Agency.
Comment une entreprise doit accueillir l’arrivée de l’IA ?
Elle doit prendre la pleine mesure des avancées technologiques et évaluer leurs impacts sur son organisation. Il s’agit aussi de former les collaborateurs à ces enjeux, en commençant par sensibiliser les membres du comité de direction. Plutôt que de subir la technologie, il convient d’envisager son arrivée de façon positive. À l’agence, nous avons organisé un hackathon. Sur une journée, les services recrutement, marketing ou commercial ont réfléchi aux impacts de l’IA sur leurs métiers. Comment peut-elle m’aider dans mon quotidien à éliminer les tâches répétitives et rébarbatives afin que je puisse me consacrer à des missions plus créatives et enrichissantes ? Des cas d’usage émergent. L’IA peut aider un recruteur à préparer ses entretiens d’embauche en établissant une trame de questions en fonction du profil du candidat. Elle peut aussi créer des tests techniques pour l’évaluation. Dans le même esprit, un commercial peut se servir de l’IA comme d’un assistant pour le conseiller sur les arguments à mettre en avant dans un entretien de négociation.
Quelles sont les limites actuelles de l’IA ?
Pour l’heure, les modèles d’IA font une seule tâche et la font très bien, comme jouer aux échecs ou lire des plaques d’immatriculation. Demain, ils seront multitâches. Les réponses apportées par des outils comme ChatGPT restent globales et manquent de profondeur. Par ailleurs, un algorithme peut être soumis à des biais de représentativité reproduisant les discriminations de la vie réelle. L’IA peut être aussi sujette à ce que l’on appelle des « hallucinations ». Elle prend pour vérité absolue ce qu’elle a appris et ne sait pas dire « je ne sais pas ». Enfin, l’IA pose des questions de confidentialité des données. Dans le cas de ChatGPT, nous sommes sur un modèle auto-apprenant. Les questions posées par un employé d’une société X pourraient alimenter les réponses apportées à un collaborateur d’une société Y. Des entreprises ont, de fait, interdit l’accès à ChatGPT. C’est pourquoi je crois que l’avenir passera par l’internalisation de ce type d’IA. Une version privée de ChatGPT sera entraînée sur les données de l’entreprise afin de délivrer des réponses contextuelles et pertinentes. Les salariés questionnent l’IA sur leur avenir professionnel ? La DRH peut ensuite dégager des tendances à partir des questions les plus posées, concernant des demandes de formation ou d’évolutions de carrière, par exemple.