Innover pour recruter

Innover pour recruter

Confronté à des difficultés de recrutement, le secteur agro-agri développe de nouvelles stratégies en plongeant les candidats en immersion dans l’entreprise ou en mettant en avant valeurs et savoir-faire pour attirer les talents.

Entreprises du secteur agro-agri recherchent salariés désespérément ! L’édition 2019 de l’enquête annuelle BMO de Pôle emploi recense 77 587 projets de recrutement en France… dont 53,4 % considérés comme « difficiles ». Porteuses de métiers souvent « en tension » (ouvriers non qualifiés de l’agriculture et vendeurs de produits alimentaires constituent les profils les plus recherchés), les entreprises de l’agro-agri doivent faire preuve d’imagination pour attirer à elles les candidats. « Mais la démographie joue contre le secteur. On compte de moins en moins de candidats pour compenser les postes perdus. D’un autre côté, susciter l’intérêt pour ces métiers est délicat », analyse Gwénaël Pitré, dirigeant du cabinet de recrutement Adéquation & Performances, spécialisé dans l’agro-agri. Conséquence : la chasse aux salariés fait rage. Sur les 38 recrutements auxquels son cabinet a procédé l’an passé, 36 relevaient… du débauchage de salariés déjà en poste ailleurs. La situation est telle que, parfois, ce sont les chefs d’entreprise eux-mêmes qui doivent engager des démarches de recrutement. À Issoudun, dans l’Indre, une dizaine de patrons de PME et de TPE agricoles ont ainsi choisi de faire le tour des agences Pôle emploi, en avril dernier, pour exposer directement leurs besoins de main-d’œuvre aux demandeurs d’emploi.

In situ

À l’autre extrémité du spectre, les grands groupes rencontrent aussi des difficultés à trouver des collaborateurs, surtout sur de hauts profils. « Avec un chômage des cadres à 3,5 %, les jeunes diplômés n’ont aucun mal à trouver une place dans les grandes boîtes du CAC 40 », confie Fabien Boivent, responsable du développement RH au sein du groupe Roullier. Pour attirer les talents, cette entreprise bretonne de 8 000 collaborateurs spécialisée dans la nutrition animale, végétale et humaine a mis les petits plats dans les grands en créant, dès 2018, le programme Graduate, une méthode de recrutement par immersion. Durant une journée, les candidats sont accueillis au centre mondial d’innovation du groupe, à Saint-Malo, et bénéficient d’un parcours mêlant escape game d’intégration, visite d’un site virtuel reconstitué en 3D et échanges conviviaux et informels avec le top management de ce groupe à direction familiale. De quoi taper dans l’œil de ces jeunes à bac + 5 (écoles d’ingénieurs agronomes ou ESC) et les convaincre de faire carrière au sein de l’entreprise malouine, parfois en intégrant très vite des hauts postes à responsabilité internationale. Roullier n’est pas le seul employeur à sensibiliser ses futurs salariés sur l’environnement de travail et sur les valeurs véhiculées par l’entreprise. Trocmé-Vallart Emballages, spécialiste du conditionnement agroalimentaire situé dans la Somme, organise aussi des sessions de visites pour ses futures recrues, en mettant le curseur sur la qualité de son savoir-faire. En Belgique, Primoris, un laboratoire spécialisé dans l’analyse de résidus et de contaminants dans le secteur agroalimentaire, n’hésite pas à étoffer ses visites de pré-recrutement avec des séquences in situ durant lesquelles les candidats partagent la pause des salariés et peuvent échanger avec eux sur leurs conditions de travail.

Créer la demande

Mais avant de faire faire le tour du propriétaire aux candidats, il faut… les trouver ! Et lorsque les annonces passées sur les sites spécialisés, le réseau personnel du chef d’entreprise ou la cooptation ne suffisent pas, certains choisissent d’aller créer la demande. Par le biais, notamment, du job dating inversé. « Ce ne sont plus les candidats qui viennent voir les entreprises sur un Salon, mais bien les entreprises qui viennent proposer leur offre dans les centres de formation agricoles, dans les écoles ou dans les lycées », détaille Sandrine Leleu, conseillère emploi-formation au sein de l’APECITA Hauts-de-France. Une façon de dépoussiérer le job dating traditionnel qui trouve peu son public. « L’exercice n’est pas vraiment adapté. Les recruteurs préfèrent une rencontre en profondeur plutôt qu’un contact de trois minutes », lâche Samuel Marchand, directeur associé du cabinet De Graët Consulting. « Le job dating fonctionne surtout pour rencontrer des profils que l’on n’aurait pas pensé à aller chercher » ajoute Gwénaël Pitré. Quant aux méthodes de recrutement par simulation (MRS), qui proposent de mettre le candidat directement en situation de travail et de jauger ses compétences sur pièce, elles ont également leurs adeptes. « Mais ces techniques sont surtout efficaces sur des métiers à faible valeur ajoutée, généralement saisonniers », précise Sandrine Leleu.

Sens, valeurs… et avantages sociaux

Davantage qu’une question de méthode, le recrutement dans le secteur agro-agri semble plutôt relever de la capacité des employeurs à attirer. « Les candidats à ces emplois sont à la recherche de sens. Cela se traduit par une appétence pour l’écologie, l’environnement, le bio, l’éthique ou le développement durable. On l’observe même chez les lycéens agricoles », explique Bertrand Delesalle, délégué régional de l’APECITA Hauts-de-France. Et pas seulement pour les plus hauts profils. Les entreprises, conscientes de ce changement de paradigme, développent leur marque employeur en ce sens, que ce soit à travers leur communication sur les réseaux sociaux ou l’obtention de labels environnementaux. La carotte ne se limite cependant pas à ces questions éthiques : pour aller chasser les candidats, certains développent des politiques sociales avantageuses, que ce soit en matière de qualité salariale, de plans d’intéressement, d’accès facilité à la formation, de mise en place de mutuelles qualitatives, de comptes épargne-temps, voire d’aides au logement ou à la mobilité lorsque le siège de l’entreprise est excentré des grandes métropoles. « L’élément rémunération est important, mais les candidats ne recherchent pas que cela », tempère Sandrine Leleu. « C’est évidemment important, mais si par ailleurs le salarié ne trouve pas d’équilibre entre sa vie personnelle et sa vie professionnelle, ou d’intérêt à son travail, il sera très dur de le fidéliser. Les jeunes salariés, à commencer par les ingénieurs, n’ont plus peur d’aller voir ailleurs. »

—— BENJAMIN D’ALGUERRE
Crédit photo : ALPHA SPIRIT/ADOBE STOCK

Réseaux sociaux

L’IMPORTANT, C’EST LES VALEURS

LinkedIn, Facebook ou Snapchat sont-ils des ouvertures vers l’emploi ? « Le recrutement social prend de l’ampleur, mais il y a des distinguos à faire. Certaines populations ne sont pas présentes sur les réseaux sociaux. Sur LinkedIn, on touche surtout des profils de direction, de management ou de commerciaux », indique Samuel Marchand. En la matière, son cabinet, De Graët Consulting, n’est présent que sur ce seul réseau dédié à la mise en ligne de profils professionnels. Facebook, Twitter ou Snapchat sont jugés trop ludiques pour constituer des outils de recherche d’emploi. Ce n’est pas forcément l’avis de certaines chambres de métiers de l’agriculture ou de fédérations territoriales qui, elles, visent plutôt un public jeune et cherchent à le rencontrer là où il est, en y diffusant des offres d’emploi. Le ministère de l’Agriculture a pour sa part choisi Snapchat en février 2019 pour inciter les collégiens à faire le choix d’une orientation en lycée agricole avec la campagne « L’aventure du vivant – les métiers grandeur nature », coréalisée avec la chaîne L’Agriculture a la cote, sur YouTube. « Difficile de savoir si cette stratégie est efficace, nous manquons de chiffres pour en juger », indique Sandrine Leleu. Les employeurs, eux, y sont la plupart du temps présents, mais davantage avec un objectif de communication que de recrutement. « Toutes les entreprises de notre champ cherchent à être visibles sur les réseaux sociaux, mais il s’agit surtout pour elles de communiquer sur leurs valeurs ou sur leur marque employeur », poursuit la conseillère APECITA. En attendant, les premières références des recruteurs restent encore les sites d’emploi spécialisés.