Et si l'apprentissage devenait (enfin) à la mode ?

Et si l'apprentissage devenait (enfin) à la mode ?

Présenté depuis des décennies comme la solution au chômage des jeunes, l’apprentissage bute encore contre un certain nombre d’a priori. La réforme du Gouvernement et les initiatives d’entreprises privées pourraient donner une nouvelle dynamique à cette formation en alternance qui a fait ses preuves.

C’est au pied du mur que l'on voit le maçon. Les atouts de l’apprentissage sont connus. Mêlant théorie et pratique, l’alternance permet d’apprendre concrètement un métier, sur le terrain. L’insertion professionnelle s’en trouve grandement facilitée. Selon les dernières statistiques du ministère du Travail, 70 % des apprentis trouvent un emploi dans les sept mois suivant leur formation. Pourtant, en dépit du chômage endémique des jeunes, la France ne  compte que 400 000 apprentis par an, soit 7 % de la population des 16-25 ans. La moyenne européenne (15 %) est deux fois supérieure.

Percevoir différemment l'apprentissage

Si la dynamique est positive, avec un nombre d’apprentis en augmentation de 7,7 % en 2018, la marge de progression est importante. En effet, plus d' 1,3 million de jeunes de notre pays ne sont actuellement ni en formation ni en emploi. Pointant les défaillances de l’enseignement traditionnel, les Français portent un regard plutôt bienveillant sur les formations en alternance. Selon une enquête Elabe pour l’Institut Montaigne et le JDD réalisée en octobre 2017 (lire notre encadré plus bas), 21 % en ont une « très bonne image » et 53 % une « assez bonne image ».

En dépit de cette perception globalement positive, les clichés accolés à l’apprentissage perdurent. Pour plus ou moins un tiers des Français, l’apprentissage serait réservé aux Présenté depuis des décennies comme la solution au chômage des jeunes, l’apprentissage bute encore contre un certain nombre d’a priori. La réforme du Gouvernement et les initiatives d’entreprises privées pourraient donner une nouvelle dynamique à cette formation en alternance qui a fait ses preuves. professions manuelles et aux élèves qui préparent un bac pro ou un CAP. Destiné aux jeunes rencontrant des difficultés scolaires, il déboucherait essentiellement sur des métiers faiblement rémunérés. Enfin, les personnes sondées pointent la complexité contractuelle de l’apprentissage et les difficultés à trouver une entreprise d’accueil. Afin de lever ces différents freins, le Gouvernement a, comme ses prédécesseurs, lancé sa réforme de l’apprentissage. Promulguée le 5 septembre dernier, la loi pour « la liberté de choisir son avenir professionnel » relève l’âge d’entrée en apprentissage à 30 ans, au lieu de 26 ans auparavant, et cette entrée peut se faire à tout moment de l’année. Les apprentis peuvent faire valoir leurs acquis pour raccourcir la durée de leur formation ou, au contraire, en cas de difficulté, l’augmenter pour en faire une période de « prépa apprentissage ». La rémunération mensuelle des jeunes de 16 à 20 ans se voit augmentée de 30 euros net, et les apprentis de plus de 18 ans en apprentissage peuvent à présent percevoir une aide de 500 euros pour passer leur permis de conduire. Par ailleurs, 15 000 jeunes apprentis par an pourront bénéficier du programme Erasmus pro afin de réaliser plusieurs mois de formation dans un autre pays d’Europe.

10 000 postes en alternance non pourvus

Du côté des entreprises, la loi prévoit un assouplissement des conditions contractuelles et réglementaires (allongement possible des horaires de travail dans le BTP ou dans l’entretien des espaces paysagers). Les ouvertures de formations sont également facilitées. À compter du 1er janvier 2020, les entreprises pourront créer leur propre CFA sans que les Régions ou les rectorats puissent s’y opposer. Spécialisés par filière métier, les onze opérateurs de compétences (OPCO) se substituent aux quelque vingt organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA). Également paritaires, ces OPCO ont pour missions d’anticiper les besoins métiers de la filière, d’assurer le financement des contrats d’apprentissage, d’apporter un appui technique aux branches professionnelles et d’assurer un service de proximité aux TPE et aux PME. L’OPCO de l’agriculture, de la pêche et de l’agroalimentaire s’appelle l’Ocapiat.

Cependant, les entreprises n’ont pas attendu le Gouvernement pour valoriser l’apprentissage. Parmi les nombreuses initiatives, nous pouvons citer la plateforme Walt (pour « We are alternants »), lancée en novembre 2018 par un consortium regroupant notamment des CFA comme les maisons familiales et rurales, des écoles − Groupe IGS, Talis Business School) − une association d’apprentis (Anaf), et un opérateur de financement des formations (Opcalia). Le site Web délivre des conseils aux employeurs pour attirer les candidats et faciliter leur intégration. Du côté des apprentis, un chatbot sur Messenger (Facebook) répond à leurs questions les plus fréquentes. En ce qui concerne les grandes entreprises, le chapitre français du Gan (Global Apprenticeship Network), réseau mondial de l’apprentissage, a été créé l’an dernier. Il réunit une dizaine de groupes, dont Adecco, Safran ou Avril, recrutant chaque année 20 000 alternants. Selon Gan France, qui se fixe pour objectif de renforcer l’attractivité de l’apprentissage, 10 000 postes en alternance ne sont pas pourvus faute de lisibilité et de visibilité sur les filières. À lui seul, Avril a accueilli 400 jeunes alternants entre 2016 et fin 2018, dont 100 d'entre eux ont été embauchés en CDI. Le groupe agroalimentaire mène des actions de sensibilisation sur ses métiers auprès des jeunes issus des territoires ruraux ou propose des stages de découverte de jeunes de classe de troisième issus de milieux défavorisés.

—— Xavier BISEUL (Tribune Verte 2911)

Étude : QUATRE PRIORITÉS POUR RÉFORMER L’APPRENTISSAGE

Avancé par les Gouvernements successifs comme l’une des solutions au chômage des jeunes, l’apprentissage mérite d’être réformé. Quatre priorités se dessinent, selon une enquête Elabe pour l’Institut Montaigne et le JDD réalisée en octobre 2017. En tête, nous trouvons la simplification des démarches et des réglementations pour les employeurs et les apprentis (52 %), puis l’implication accrue des entreprises dans les cursus de formation (51 %), ensuite, l’ouverture d’une filière professionnelle préparatoire en fin de collège pour mieux orienter et préparer les élèves à l’apprentissage (48 %) et, enfin, l’augmentation des aides financières à destination des PME lors de l’embauche d’un apprenti (46 %).

Avis d’expert : « PASSER DU COLLÈGE AU MONDE DE L’ENTREPRISE N’EST PAS FACILE »

Patrick Gues, cadre à l’Union nationale des maisons familiales et rurales (MFR)

Comment expliquer que les clichés sur l’apprentissage perdurent ?

Il s’inscrit dans la bataille de l’enseignement professionnel en France. L’enseignement général reste fortement ancré dans les moeurs, et l’orientation après la troisième en CFA est encore vécue comme une orientation par l’échec. Heureusement, il y a de plus en plus de formations en alternance dispensées dans l’enseignement supérieur, ce qui aide à améliorer l’image de l’apprentissage.

Quelles sont les principales causes de rupture de contrat ?

Elles ont pour origine une mauvaise orientation — on envoie un jeune dans une filière par défaut ou celui-ci se fait une mauvaise idée du métier — et à des difficultés d’adaptation au système de l’alternance. Un jeune de 20 ou de 24 ans qui opte pour ce type de formation dans l’enseignement supérieur est déjà adulte. Un enfant de 16 ans qui sort du collège et qui signe un contrat de travail n’a pas la même maturité. Il ne connaît pas le monde de l’entreprise, ses conventions. Par exemple, un apprenti boulanger devra se lever à quatre heures du matin. Passer de la vie de collégien à celle de travailleur n’est pas facile. Les jeunes qui rompent leur contrat en sortent un peu « cassés » et risquent de sortir du système scolaire sans diplôme. Au sein des maisons familiales et rurales, le taux de rupture est faible. Il s’établit à 4,5 % à trois mois, contre 8,7 % en moyenne, et à 12 % sur toute la durée du contrat contre 22 % en moyenne. Nous mettons en place un « sas » de l’apprentissage, une année de préparation avec des stages avant de signer en entreprise. Cela permet au futur apprenti d’affiner son projet.

De son côté, que doit prévoir l’employeur ?

Il doit tout d’abord nommer un tuteur. Ce référent va aider l’apprenti à découvrir son futur métier. Les artisans et les agriculteurs ont cette culture de l’accueil. La transmission des savoirs leur est naturelle. Ils sont aussi conscients de la nécessité de former les futurs repreneurs pour leur entreprise, le nombre de commerces ou d’exploitations à reprendre ne faisant que croître. Si les grands groupes sont venus plus tardivement sur le sujet, ils se sont organisés pour améliorer l’accueil des apprentis avec des personnes dédiées. Au-delà de la relation de confiance qui lie les trois parties (le CFA, l’apprenti et l’entreprise), il ne faut pas oublier les parents. Ces derniers doivent soutenir leur enfant dans sa démarche. Dans la boucle, ils peuvent échanger avec le tuteur ou avec l’école et déminer les problèmes avant qu’ils ne prennent trop d’ampleur.