Enquête : Lutter contre les CV maquillés et les faux diplômes

Enquête : Lutter contre les CV maquillés et les faux diplômes

Du changement de dates au diplômé inventé de toutes pièces, 65 % des CV seraient trompeurs. Comment démasquer ces candidats qui multiplient les entorses à la réalité ? Éléments de réponse

Il suffit de taper « faux diplôme » sur un moteur de recherche pour saisir l’ampleur du phénomène. En quelques clics, il est possible de télécharger en « haute définition » le sésame tant convoité. Un site propose ainsi pour 80 euros un diplôme du Bac avec votre identité, l’académie et la date de session. Un BTS ou une licence se monnaient au même prix. Il faudra rajouter vingt euros pour un master.

Ces faux diplômes viennent donner du crédit à un parcours professionnel plus ou moins redessiné. Responsabilités professionnelles surévaluées, durées de contrat rallongées, périodes de chômage gommées, niveaux en langue surestimés, stages étudiants transformés en premier emploi, formations certifiantes non obtenues… Du CV enjolivé au CV contrefait,  certains candidats prennent quelques libertés avec la vérité.

65 % des CV seraient ainsi trompeurs, selon l’institut RH Florian Mantione. Cofondateur d’EveryCheck, société qui vérifie plusieurs dizaines de milliers de CV par an, Yohan Zibi avance, lui, un taux moyen de « véritables » faux CV de 12 %. « Il s’élève entre 30 et 40 % dans les métiers commerciaux et du conseil, en particulier dans la banque-assurance, tandis que le secteur médical stagne à 1 ou 2 %. »

Gros mensonges et petits arrangements avec la réalité

Entre les gros mensonges et de petits arrangements avec la réalité, les tromperies n’ont, bien sûr, pas les mêmes conséquences. Certaines sont vénielles. Yohan Zibi cite le cas classique de candidates qui, pour combler un trou dans un CV lié à une grossesse, décalent les dates de leurs expériences professionnelles.

Certaines mystifications peuvent, en revanche, avoir des suites beaucoup plus graves. Dans certaines professions réglementées, l’obtention d’un diplôme est rédhibitoire. En cas d’accident, l’assurance professionnelle ne couvrira pas. Plus grave, la responsabilité pénale d’un recruteur peut être engagée en cas, par exemple, de pratique illégale de la médecine.

Si la validation de CV se généralise, le contexte actuel pourrait inciter les entreprises à alléger les contrôles. Avec un marché de l’emploi reparti plus fort encore qu’avant la Covid-19, les recruteurs peuvent être tentés d’alléger leur processus de recrutement, afin de donner le plus rapidement possible une réponse à des candidats sursollicités.

Pour Yohan Zibi, le contrôle renforce, au contraire, une stratégie de marque employeur. « Une entreprise montre qu’elle est prudente et n’embauche pas n’importe qui. Nous accompagnons nos clients pour qu’ils amènent le sujet de façon apaisée. Il convient d’énoncer dès le début du process qu’il y aura cette vérification. C’est d’accord pour vous ? Le candidat peut renoncer ou rester. Cela constitue une sorte de filtre en amont. »

Des dérives qui plaident pour la fin du CV ?

Pour valider les CV et les diplômes, EveryCheck fait appel à des bases de données, mais aussi de plus en plus aux blockchains des écoles. Ces sortes de registres numériques infalsifiables conservent les diplômes des anciens étudiants, même si ces écoles ferment leurs portes.

Au-delà des CV, la société propose aussi la prise de références avec l’envoi automatisé d’un questionnaire aux anciens employeurs et bientôt un contrôle renforcé pour des postes sensibles, comme un cadre dirigeant, un trésorier ou un responsable de la cybersécurité. Le prestataire rappelle qu’il n’apporte que des éléments d’appréciation. En dépit d’un CV falsifié, un employeur peut décider d’embaucher le candidat, jugeant ses explications convaincantes et estimant qu’il réunit malgré tout les qualités techniques et comportementales requises pour le poste. Ces dérives plaident aussi pour la fin du CV au profit d’un recrutement par les compétences. Le candidat n’a alors plus à mentir pour se conformer au portrait-robot du collaborateur idéal, mais à rester lui-même.

— Xavier BISEUIL (Tribune Verte 2988)

Étude : 65 % DE CV TROMPEURS

Pour la huitième année consécutive, l’institut RH Florian Mantione a enquêté sur les CV falsifiés. Il en ressort de sa dernière étude que 65 % des CV seraient trompeurs, c’est-à-dire qu’« ils ne reflètent pas la vérité dans la forme et/ou le fond ». Plus grave, 85 % des candidats déclarent normal d’arranger leur CV et deux employeurs sur trois ne font aucun contrôle du CV. Parmi les éléments les plus modifiés, on trouve les responsabilités professionnelles (65 %), les langues étrangères (64 %), la durée des postes (61 %), la nature même du poste occupé (53 %) et la rémunération (52 %). Les commerciaux (73 %) se classent à la plus haute marche du podium des « trompeurs », suivis des managers (51 %), des techniciens et ingénieurs (34 %) et des fonctions support (29 %).

Avis d’expert : « DES SITES PROPOSENT DES FAUX EN TOUTE IMPUNITÉ »

Yohan Zibi, cofondateur d’EveryCheck.

Comment expliquer l’ampleur du phénomène ?
Yohan Zibi : Il y a quelques années, pour se procurer un faux diplôme, il fallait se mettre en contact avec un faussaire ou se rendre sur le Dark Web, ce qui n’était pas donné à tout le monde. Le développement de réseaux sociaux, comme Snapchat et Telegram, a facilité le commerce de documents falsifiés. Des sites proposent aussi des faux en toute impunité. Ils profitent d’un vide juridique avançant qu’ils ne sont pas responsables de l’usage qui est fait des documents. Certains commercialisent des faux grossiers, d’autres des parchemins plus élaborés. La crise sanitaire a, par ailleurs, créé un effet d’aubaine. Avec la forte demande en personnel soignant, des personnes malintentionnées se sont auto-diplômées aides-soignantes.

Face à ce fléau, est-ce que les entreprises contrôlent plus ?
Y. Z. : Les entreprises françaises se rapprochent du modèle anglo-saxon, où la validation de CV et diplômes est quasi systématique. Je conseille de procéder à ce contrôle à la fin du processus de recrutement. Chez EveryCheck, nous faisons en sorte que le process soit le plus fluide possible. Cela demande six à sept minutes à un candidat et environ deux minutes au recruteur.

Ensuite, il faut un jour et demi en moyenne pour valider un CV. Cette validation est complexe et chronophage. Il y a tout un protocole à suivre pour échanger avec les écoles. Notre métier consiste à donner des éléments d’appréciation à une entreprise qui sera libre in fine de sa décision.

Une fois les résultats connus, quels conseils donnez-vous aux employeurs ?
Y. Z. : S’il y a un « petit » mensonge sur le CV – une expérience professionnelle n’a duré que trois ans et non quatre –, mais que les tests techniques ont été brillamment réussis et que le feeling est passé, un employeur peut passer outre et recruter le candidat. Un entretien de restitution permettra de poser le sujet sur la table et de repartir sur de bonnes bases. Cela permet d’assainir la relation naissante et d’embaucher l’individu en toute connaissance de cause. En France, la période d’essai permet de prendre un risque calculé. Durant les premiers mois, l’employeur aura une attention particulière sur la nouvelle recrue.