Emmanuel Delmotte, directeur de l’ENSFEA « Offrir aux futurs enseignants les outils pour transmettre leurs savoirs »
Depuis 2014, Emmanuel Delmotte est à la tête de l’ENSFEA, l’École nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole. Dans cet entretien, il nous explique non seulement comment se déroule la formation des futurs enseignants, mais aussi comment les pratiques pédagogiques ne cessent d’évoluer.
Pouvez-vous présenter l’ENSFEA et ses principales missions ?
Emmanuel Delmotte : Implantée sur le site de l’agrobiopole Auzeville-Tolosane, à quelques kilomètres de Toulouse, l’ENSFEA est un établissement d’enseignement supérieur au service de la formation, de la recherche et de l’appui à l’enseignement agricole, sous la tutelle du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Longtemps connue sous le nom d’École nationale de formation agronomique (ENFA), elle a changé de dénomination en 2016 pour
devenir l’École nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole. Cette appellation nous permet d’affirmer clairement nos missions.
La première d’entre elles concerne la formation initiale et continue des enseignants et des conseillers principaux d’éducation de l’enseignement technique agricole public et privé (hors MFR). À ce titre, nous sommes accrédités à délivrer le diplôme de master métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation dans l’enseignement agricole (MEEF).
Nous avons également un rôle d’appui auprès des établissements de l’enseignement agricole, que ce soit, par exemple, dans l’accompagnement de leurs projets d’établissement ou lors de la rénovation des référentiels de diplômes.
Enfin, en tant qu’établissement d’enseignement supérieur, nous conduisons également des actions de recherche, notamment dans les sciences de l’éducation et de la didactique. Grâce à notre expertise, nous participons ainsi aux évolutions et aux innovations au
sein du système éducatif agricole français.
Comment se déroule la formation de vos étudiants ?
E. D. : Après leur réussite au concours de recrutement d’enseignant du ministère de l’Agriculture, les lauréats intègrent notre master MEEF en seconde année, en qualité de fonctionnaire stagiaire. La formation se déroule, sur une année, en alternance avec des séquences à l’ENSFEA et des périodes de stage au sein des établissements de l’enseignement agricole. Ces dernières sont très importantes car elles permettent au stagiaire de passer de l’observation à la réalisation de séances d’enseignement, sous la responsabilité et l’accompagnement d’un tuteur enseignant, et de gagner ainsi, au fur et à mesure des semaines, en autonomie et en confiance. Sans oublier la part attribuée à la recherche dans le cadre du mémoire de fin de Master. À noter qu’il est également possible de rentrer en 1re année de master MEEF à condition d’être titulaire d’une licence (ou d’un diplôme reconnu de niveau équivalent) en cohérence avec le parcours MEEF choisi. Cette première année a essentiellement pour but la découverte du métier d’enseignant et la préparation au concours.
Alors, concrètement, qu’apprend-on à un futur enseignant ?
E. D. : Notre rôle n’est absolument pas de former des experts d’une discipline (agronomie, zootechnie, économie…), d’autant que leurs connaissances techniques ont été sanctionnées
par le concours, mais de faire en sorte qu’ils soient en capacité de dispenser cette discipline. Nos objectifs sont donc de leur donner les outils et les méthodes pour pouvoir transmettre leurs savoirs et de les former aux cinq missions de l’enseignement agricole : formation initiale et continue, animation et développement des territoires, insertion scolaire, sociale et professionnelle des jeunes et des adultes, développement d’expérimentation et d’innovation agricole, coopération internationale.
Les méthodes d’enseignement ne cessent d’évoluer. Comment faire pour être à la pointe des techniques d’apprentissage ?
E. D. : Nous nous inspirons beaucoup du rapport « Vers une société apprenante », de François Taddéi. Dans ce dernier, il insiste notamment sur la notion d’interactions. Aujourd’hui, on ne peut plus concevoir l’enseignement comme une transmission de savoirs descendante de l’enseignant vers l’apprenant. Il faut plus d’échanges et d’interactions, et favoriser les mises en situation qui ont prouvé leur efficacité en termes d’apprentissage.
Dans ce même rapport que vous citez, François Taddéi insiste sur la nécessité de « développer un écosystème numérique pour apprendre, progresser et partager ». La question du numérique est-elle au coeur de l’enseignement que vous dispensez ?
E. D. : Effectivement, puisque l’entrée du numérique dans les établissements d’enseignement se généralise. Les pratiques pédagogiques des équipes sur le terrain s’appuient de plus en plus sur ces nouveaux outils qui facilitent la mobilité, l’accès au
savoir et qui encouragent l’innovation et la création. Pour autant, le numérique reste un outil et non une fin en soi. Par exemple : utiliser les téléphones portables pour une évaluation est une pratique qui se développe, mais le plus important est de savoir ce que l’on cherche à évaluer, et c’est cela que nous apprenons aux futurs enseignants.
Toutes ces innovations liées aux NTIC1 font donc aujourd’hui partie du bagage que vous délivrez à vos étudiants. Mais qu’en est-il de tous les enseignants déjà en poste depuis plusieurs années ?
E. D. : Nous avons effectivement souvent besoin de remettre à niveau les enseignants. Cela peut prendre la forme de séminaire, que ce soit sur les questions de développement du numérique, mais aussi sur les politiques publiques. Notre ministère de tutelle a ainsi mis en place le plan d’action « Enseigner à produire autrement » afin que l’enseignement agricole se mobilise pour accompagner la transition vers de nouveaux systèmes de production plus durables. Depuis 2014, nous avons ainsi organisé plusieurs séminaires de formation sur cette question afin d’accompagner les enseignants, les formateurs et les responsables de formation intervenant dans le champ de l’agroécologie à réfléchir sur leurs pratiques et leurs dispositifs pédagogiques. Nous pouvons également intervenir plus ponctuellement à la demande des Draaf directement auprès des établissements, sur des thématiques très diverses. Par exemple, le choix des outils à mettre en place pour s’adapter au public
souffrant de troubles dys (dyscalculie, dyslexie…) ou la manière de s’approprier les « jeux sérieux 2 » dans un cadre pédagogique.
En conclusion, quel sera le grand défi à relever pour l’ENSFEA dans les années à venir ?
E. D. : Notre grand challenge sera sans aucun doute de trouver de futurs enseignants à former. On parle beaucoup du renouvellement des générations en agriculture, mais la problématique existe également dans l’enseignement agricole. Face aux futurs départs à
la retraite, nous devons constituer un nouveau vivier d’enseignants, donner envie aux jeunes de choisir cette voie. Cela passe notamment par des actions de communication, mais aussi par le développement du master MEEF à travers la voie de l’apprentissage,
une formule qui trouve de plus en plus son public.
—— Propos recueillis par Aude BRESSOLIER (Tribune Verte n°2907)
EN CHIFFRES
- 200 fonctionnaires stagiaires lauréats des concours de recrutement d’enseignants et de conseillers principaux d’éducation au ministère de l’Agriculture
- 200 étudiants (licence et master)
- 2 000 journées de formation continue stagiaires réalisées
- 133 personnels permanents (enseignants, enseignantschercheurs, ingénieurs, techniciens et administratifs)
(1) Nouvelles technologies de l’information et de la communication.
(2) Un jeu sérieux (ou « serious game » en anglais) est une activité qui combine une intention « sérieuse » de type pédagogique avec des ressorts ludiques.