Donner (encore) envie d’être manager

Donner (encore) envie d’être manager

Devenir manager ne fait plus rêver. Un désamour particulièrement ressenti par les jeunes générations, qui n’entendent pas sacrifier leur vie privée. Comment dès lors revaloriser la fonction ? Éléments de réponses.

Être promu manager n’est plus synonyme de réussite sociale. Selon une étude de l’observatoire Cegos, 66 % des quelque 1 000 salariés interrogés affirment n’avoir aucune envie d’encadrer une équipe. Fonction phare dans les années 1990 ou 2000, signe d’ascension professionnelle, la fonction de manager aurait perdu de sa superbe. Il n’y aurait que des coups à prendre à être promu « chef ». Placé entre le marteau et l’enclume, le manager doit appliquer sur le terrain les directives de sa direction tout en recueillant les mécontentements des membres de son équipe. Ces derniers ne sont d’ailleurs pas tendres avec leur manager, le jugeant tout à la fois trop directif et intrusif et trop absent ou protecteur. Si la remise en question du rôle du manager n’est pas nouvelle – le concept d’entreprise libérée se propose carrément de le supprimer – « deux grandes secousses sismiques » l’auraient un peu plus ébranlé, selon Olivier Chaussard, directeur associé au cabinet Oresys. « La première, c’est la transformation numérique. La digitalisation a abattu les cloisons et les silos. On est passé d’un management hiérarchique à un management transversal. Les managers qui détenaient leur pouvoir par la rétention de l’information n’existent plus à l’ère du digital. » La Covid-19 a, selon lui, constitué en quelque sorte la deuxième lame. « La crise sanitaire a éloigné le manager de son équipe. Parfois pour le mieux. Lors des confinements, des collaborateurs ont pris des initiatives pour gagner en efficacité, court-circuitant la chaîne managériale. Le management à distance a cassé un peu le fil relationnel. Quand tout le monde était présent sur un plateau, il était facile pour un manager de voir qui n’allait pas bien et avait besoin d’aide », poursuit le directeur associé. Ces deux tendances de fond n’ont, en soi, pas changé les missions du manager. Il doit à la fois porter les ambitions de l’entreprise et incarner ses valeurs tout en aidant son équipe à progresser. En revanche, ellesles ont rendues plus difficiles à réaliser. « Il doit changer de posture, estime Olivier Chaussard. Le stéréotype du manager toujours sur le pont, premier arrivé et dernier parti, à la fois stressé et stressant, ne fait plus rêver. » C’est particulièrement vrai auprès des actifs des jeunes générations Y et Z, qui aspirent à concilier vie professionnelle et vie privée et à travailler en accord avec leurs valeurs. Les horaires à rallonge et les missions dénuées de sens, très peu pour eux. Sans compter le manque de reconnaissance, la solitude du chef ou la rémunération qui n’est pas toujours à la hauteur de l’investissement.

Briser l’armure, lâcher prise

Dans ce contexte, que peut faire la DRH ? Elle doit tout d’abord éviter les erreurs de casting, et propulser managers des collaborateurs qui n’en ont ni l’envie ni les compétences. Cela suppose d’imaginer d’autres parcours d’évolution de carrière en valorisant notamment la filière de l’expertise ou l’intrapreneuriat. Il s’agit, par ailleurs, d’outiller les managers pour qu’ils puissent adopter les bonnes postures. Au-delà des formations traditionnelles pour gérer le stress, les conflits ou les relations interpersonnelles, des programmes dédiés au management à distance se sont multipliés depuis la généralisation du télétravail. Ou comment passer d’un management de contrôle à un management par objectifs en accordant une large autonomie aux équipes. Selon le concept de « servant leadership », le manager des années 2020 est appelé à devenir un coach et un animateur. Facilitateur, il se met au service des membres de son équipe pour les aider à surmonter leurs problèmes du quotidien et à relever les défis communs. Bienveillant, il veille à leur bien-être. Les rituels des méthodes agiles ou du management visuel permettent d’endosser ce rôle de coordination tout en faisant appel à l’intelligence collective. Enfin, il faut aider le manager à briser l’armure. L’image du capitaine de navire qui affronte toutes les tempêtes sans broncher n’a plus cours, avec la succession des crises. Humble et humain, il reconnaît ses faiblesses et ses erreurs, n’hésite pas à aborder les sujets sensibles. C’est en se montrant tel qu’il est qu’il gagnera la confiance de tous. Un salutaire lâcher-prise, qui ne s’apprend pas dans les grandes écoles de commerce et de management.

— Xavier BISEUL (Tribune Verte 3004)

Étude : UN CADRE SUR CINQ NE VEUT PAS MANAGER

À l’occasion d’une étude publiée en septembre 2021, le moteur de recherche Indeed a sondé plus de 1 000 cadres en France. Il en ressort, à sa lecture, qu’un cadre sur cinq ne souhaite pas gérer d’équipe, et donc être manager. La proportion est encore plus élevée parmi les 35-49 ans (27 %), la tranche d’âge la plus susceptible d’occuper des fonctions managériales. Parmi les répondants actuellement managers, 66 % trouvent cette fonction stressante et 43 % considèrent qu’elle représente trop de responsabilités. Un manager sur deux trouve que sa fonction est devenue trop difficile depuis la crise sanitaire qui, en bouleversant les codes du management, a probablement accéléré le mal-être. 13 % des managers vont jusqu’à déclarer qu’ils n’aiment pas diriger leur équipe. L’étude pointe aussi une quête de sens. 19 % des cadres affirment qu’un métier plutôt manuel correspondrait davantage à leur idéal, ce qui a priori ne correspond ni à leur profil ni à leur parcours. Ce chiffre atteint 23 % chez les 18-34 ans et même 31 % chez les cadres commerciaux.

Avis d’expert : « LES MANAGERS TIENNENT UN RÔLE CLÉ DANS L’ÉPANOUISSEMENT DES COLLABORATEURS »

Olivier Chaussard, directeur associé pour Oresys Les managers tiennent-ils toujours un rôle clé ?
Olivier Chaussard : Plus que jamais. Ce sont les moteurs sur le terrain des réorganisations et des programmes de transformation. Les managers tiennent un rôle clé dans l’épanouissement ou le non-épanouissement des collaborateurs, de leur engagement et donc, finalement, de la performance de l’entreprise. Quand on interroge les directions sur le sujet, elles sont d’accord pour dire que le manager de proximité est un rouage essentiel. Mais à la question « Que faites-vous pour eux ? », c’est le grand silence. Il faut faire plus pour eux, proposer des dispositifs d’accompagnement dédiés et profiter des programmes de transformation pour les faire progresser, par petites touches.

Quelles actions entreprendre pour valoriser la fonction ?
O. C. : Cela passe par des programmes de formation. La formation doit être dispensée au plus près de l’exercice du management. Ce n’est pas parce qu’un manager a été formé à la gestion des conflits qu’il adoptera, quelques mois plus tard, la bonne posture. Réalisée sur un tableau ou un support digital, le management visuel a aussi fait ses preuves. Un des rituels consiste, toutes les semaines, à passer en revue des réussites, des difficultés, des demandes d’aide de chaque membre de l’équipe. Cela permet de détecter les personnes en difficulté, de valoriser les succès, de remonter les bonnes pratiques. La généralisation des feedbacks permet également de libérer la parole et de désamorcer les éventuels conflits. Enfin, le manager a besoin de se ressourcer et de prendre du recul à travers des séminaires ou la création de communautés de managers favorisant l’échange de bonnes pratiques entre pairs. Un manager expose son problème et ses homologues vont le conseiller au regard de leur expérience. Enfin, le manager a besoin de la reconnaissance de sa hiérarchie. C’est d’autant plus important que les privilèges liés à la fonction tombent les uns après les autres, qu’il s’agisse du bureau fermé ou de la voiture de fonction avec sa place de parking attitrée.

Vous pointez aussi du doigt les erreurs de casting…
O. C. : Dans de nombreuses structures, devenir manager est souvent le seul moyen de progresser. Une fois passé un échelon, on est promu, de facto, manager. Or, tout le monde n’a pas vocation à encadrer une équipe. Les personnes qui ne souhaitaient pas incarner ce rôle sont doublement malheureuses. Elles ne font pas de bons managers et n’ont plus le loisir d’exercer leur talent. Pour rompre ce cercle vicieux, il faut créer d’autres parcours de progrès en valorisant l’expertise. Il convient aussi de décorréler le statut cadre du management d’équipe. Par exemple, un chef de projet va s’appuyer sur des ressources transverses avec lesquelles il aura un lien fonctionnel et non hiérarchique.