Comment faire travailler ensemble quatre générations de salariés ?
Avec l’allongement de l’âge du départ à la retraite, jusqu’à quatre générations peuvent cohabiter en entreprise. Quelles bonnes pratiques mettre en oeuvre pour assurer une coopération harmonieuse ?
La récente réforme des retraites a relancé le débat sur la diversité générationnelle et les défis organisationnels qu’elle soulève. Plus que jamais, avec l’allongement de la vie professionnelle, jusqu’à quatre générations d’actifs peuvent cohabiter sous un même toit : les baby-boomers (nés entre 1946 et 1964), la génération X (entre 1965 et 1980) ; la génération Y (entre 1981 et 1996) et la génération Z (nés entre 1997 et 2010).
L’intelligence collective se nourrit de la diversité des talents. Grâce à une fertilisation croisée des parcours et des compétences, la coopération intergénérationnelle permet à une entreprise de gagner en créativité et en productivité. Pour autant, chaque génération vient avec ses parcours de vie, ses valeurs, ses aspirations professionnelles, qui peuvent différer – voire s’opposer.
Par essence, un jeune actif qui a tout à prouver tout en voulant préserver un équilibre vie personnelle-vie professionnelle n’aura pas le même rapport au travail qu’un senior en deuxième partie de carrière. Même les modes de communication diffèrent. Selon son âge, un collaborateur privilégiera le face-à-
face, le téléphone, le mail, le SMS, la messagerie instantanée ou le message vocal.
Lutter contre les stéréotypes et les préjugés
Comme bien souvent, c’est au manager de proximité de faire le liant et de créer une cohésion de groupe. À lui de faire comprendre les besoins des uns et des autres et de faire respecter les différences en luttant contre les stéréotypes et les préjugés. Des événements festifs, des actions de team building ou des rendez- vous ritualisés, comme les déjeuners d’équipe, favorisent les interactions. Le manager intermédiaire doit aussi adapter les temps de travail en fonction de la situation personnelle de chaque collaborateur – jeune parent, salarié aidant, etc. –, voire aménager le poste, dans le cas de la prise en compte d’un handicap, sans créer pour autant d’inégalités de traitement. Une formation au management intergénérationnel peut lui permettre de mettre en évidence des biais inconscients qui altéreraient son jugement.
À un niveau collectif, une entreprise peut lancer un programme de mentoring où il s’agira de faciliter la transmission des connaissances en constituant des binômes débutant-senior. À l’inverse, dans le cas du reverse mentoring, ce sont les jeunes collaborateurs qui apportent aux « aînés » leur expertise des outils numériques et des réseaux sociaux.
D’autres projets peuvent fédérer des salariés de toute classe d’âge, par exemple les actions de mécénat de compétences au profit d’associations d’intérêt général. Le défi du réchauffement climatique constitue aussi une « opportunité » pour mobiliser toutes les énergies face à un enjeu qui nous dépasse tous.
— Xavier BISEUL (Tribune Verte 3019)
Étude : Quelles stratégie pour élargir le vivier de talents de la génération X ?
Les candidatures issues des actifs de la génération X, nés entre 1965 et 1980, viennent à manquer. Pour une offre d’emploi publiée sur LinkedIn, ce sont en moyenne cinq membres de cette catégorie de seniors qui postulent, soit deux fois moins que les millenials ou la génération Z. Face aux difficultés actuelles de recrutement, les employeurs gagneraient, selon le réseau social professionnel, à élargir leur vivier de candidatures de ce côté-là de la pyramide des âges.
Pour cela, LinkedIn France conseille de privilégier une approche de recrutement axée sur les compétences. Ce qui permettrait de multiplier, en moyenne, par neuf le nombre de candidatures de cette génération X. Les compétences les plus demandées par les entreprises françaises – management, gestion de projet, aptitude à la vente – figurent de fait dans le top 10 de celles renseignées par les profils de cette classe d’âge.
Les entreprises du commerce de détail, de l’immobilier et de l’éducation recrutant sur ces compétences seraient particulièrement gagnantes. Les actifs de la génération X font, par ailleurs, preuve d’une grande fidélité avec une ancienneté moyenne de neuf ans et demi, contre trois ans toutes générations confondues.
Avis d’expert : « La coopération intergénérationnelle amène de la performance et du plaisir au travail »
Patrice de Broissia, directeur associé du cabinet Oasys.
Comment expliquez-vous cette cassure entre générations ?
Patrice de Broissia : Dans un passé pas si lointain, l’entreprise était l’incarnation du corps social. Des hommes et des femmes, jeunes et moins jeunes, de toute origine, cohabitaient harmonieusement et il était possible d’y faire carrière. Une cassure s’est opérée dans les années 1980 et 1990. Focalisées sur la création de valeur, les entreprises conduisent, depuis, des stratégies court-termistes. Ce qui les incite à recruter des actifs directement opérationnels, écartant les profils juniors et seniors. La pression du marché contraint, par ailleurs, les salariés à changer régulièrement d’employeur. Rester dix ans dans la même société devient louche.
Comment faire cohabiter des salariés de différentes générations, X, Y ou Z ?
P. d. B. : En compartimentant les populations de salariés par catégories d’âge, une organisation crée des silos et des stéréotypes qu’elle doit ensuite déconstruire. Elle est obligée de tisser artificiellement des passerelles entre les générations en lançant des programmes de mentoring ou en favorisant le travail en mode projet. Pourtant, si on laisse faire, naturellement, les gens se côtoient et s’entraident quel que soit leur âge. Plus qu’une question d’âge, il faut jouer sur la complémentarité de compétences. Certains salariés sont visionnaires, d’autres sont très organisés et, entre eux, des collaborateurs à fort potentiel relationnel font le liant. Bien sûr, il y a des compétences que l’on retrouve par catégorie d’âge. En matière de “savoir être”, les seniors, par la force de l’expérience, ont développé une forme de sagesse, de philosophie. Les juniors présentent, eux, une grande élasticité intellectuelle. Ils ont appris à apprendre.
Quels enseignements tirer de la crise sanitaire ?
P. d. B. : Elle a servi de révélateur. Les salariés ont pu se rendre compte qu’il était possible de travailler mieux en télétravaillant et de parvenir à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Contrairement à ce que certains sociologues avancent, les jeunes actifs ont toujours envie de travailler, mais c’est leur rapport au travail qui a changé. Ils ne veulent plus être pressurisés, être managés à la hussarde. Cette pression crée de la souffrance, de l’absentéisme, du désengagement. L’arrivée de l’intelligence artificielle peut être aussi l’occasion de travailler autrement, et mieux, en faisant évoluer les métiers. Les organisations peuvent capitaliser sur ces évolutions pour impulser une culture d’entreprise davantage bienveillante et inclusive.
Comment initier cette impulsion ?
P. d. B. : Elle doit venir de la direction générale, qui a tout à y gagner. La coopération intergénérationnelle amène non seulement de la performance mais aussi du plaisir au travail, et donc de l’engagement. Cette démarche doit s’inscrire sur le temps long. Un programme en faveur de la diversité ne doit pas servir d’alibi, de “danseuse” pour les communicants et les RH. Dans le cadre d’une stratégie RSE, la prise en compte des enjeux environnementaux peut aussi fédérer toutes les classes d’âge. Tout le monde vit sur la même planète.